Littérature française

Éric Laurrent

Les Découvertes

illustration
photo libraire

Chronique de Renaud Junillon

Librairie Lucioles (Vienne)

L’une des thématiques favorites d’Éric Laurrent est la rencontre amoureuse, la conquête de l’autre, le discours amoureux. Avec ce dixième roman intitulé Les Découvertes, l’auteur s’interroge sur les éléments fondateurs d’un imaginaire érotique qui feront naître une fascination pour le corps de la Femme.

Ces « découvertes » évoquent celles des terres inconnues et cachées de quelque précieuse Carte du pays de Tendre : celles du corps féminin, des sensations et des émotions suscitées chez un jeune garçon, des interrogations et des énigmes qu’il ne manquera pas de poser, de l’apparition du désir, de « l’irrésistible fascination » pour le sexe féminin. Mais à travers l’évocation de ces souvenirs, le lecteur découvre aussi, à l’arrière plan, les processus de la mémoire dans la construction psychique de l’individu, l’importance des premières fois et la tentative de renouer avec ce monde perdu qu’est l’enfance. Cela commence par un étrange sentiment que fait naître la contemplation d’Hersilie, figure centrale du tableau de Jacques-Louis David, Les Sabines, femme à la poitrine voluptueuse et à la cuisse dénudée. Cela continue avec le frisson que suscite la vision de l’affiche d’un film érotique représentant une Emmanuelle enjuponnée et seins nus, ou la vue d’un passage particulièrement érotique du film Tarzan et sa compagne, dans lequel la compagne en question laisse ses vêtements sur la rive avant de nager entièrement nue. Plus tard, pour notre jeune narrateur, ce sera l’émotion des photos des pages centrales des magazines de charme, des fantasmes mettant en scène des femmes initiatrices, des nouvelles érotiques d’Anaïs Nin dans un crescendo de sensualité et de désirs. Mais si ce livre est un récit initiatique drôle et poétique, il est également celui d’un long chemin de croix pour atteindre l’extase du passage à l’acte… Bien que l’image (tableau, film, photo) soit omniprésente dans sa jeunesse, le narrateur se remémore sa relation essentielle à la lecture : « voir ou apercevoir ne [lui] suffisait pas : le monde ne prenait sa pleine dimension à [ses] yeux que par le verbe. » Réminiscence, analepse, nécessité de la lecture, Éric Laurrent a également en commun avec Proust l’art de la digression. Il n’est pas rare de lire des phrases de trois pages où s’enchevêtrent propositions subordonnées, groupes de mots détachés, parenthèses (qui souvent accueillent d’autres parenthèses) et notes en fin d’ouvrage (qui, par leur longueur, ne rentraient pas en bas de page !) où la description joue un rôle fondamental, entraînant souvent le lecteur du général au particulier au cours d’une même phrase, dans un effet de zoom étourdissant. Éric Laurrent utilise le mot juste, la formule la plus précise et appropriée : il écrit avec tout ce que la langue et la grammaire française permettent pour qui les connaît en détail et sait les manier en virtuose. Certains trouveront cette langue désuète, elle est en vérité envoûtante et poétique, animée par une certaine ironie.