Littérature française
Marie Semelin
Les Certitudes

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Marie Semelin
Les Certitudes
JC Lattès
20/08/2025
342 pages, 20,90 €
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Chronique de
Aurélie Baudrier
Librairie L'Insomnie (Décines-Charpieu) - ❤ Lu et conseillé par 13 libraire(s)

✒ Aurélie Baudrier
(Librairie L'Insomnie, Décines-Charpieu)
Voilà un premier roman qui marquera cette rentrée. D'abord parce qu'il résonne avec l'actualité brûlante mais aussi parce qu'il impressionne. Marie Semelin s'attaque à un sujet particulièrement sensible, avec nuance et justesse, et nous raconte, à travers une belle histoire d'amour, la guerre sans fin qui se déroule en Palestine et en Israël depuis plus de soixante-dix ans.
Quelle a été votre première intention quand vous avez commencé à penser et écrire ce roman ?
Marie Semelin L'idée de départ a été de réhumaniser cette terre car elle est souvent évoquée en utilisant un vocabulaire désincarné et des mots techniques. Il s'agissait avec ce roman de rendre ce territoire tangible, de le faire ressentir physiquement et de raconter à quoi ressemblent les gens qui y vivent.
Pouvez-vous nous parler de vos deux personnages, Simone et Anna, et nous décrire leur personnalité et leur lien ?
M. S. Madame Simone a plus de 70 ans et est d'origine juive marocaine. Elle vit à Paris et partage son appartement en colocation avec Anna, une jeune femme de 26 ans. Un lien d'amitié va se tisser entre les deux femmes. Madame Simone va faire promettre à Anna, au moment de son décès, de la faire enterrer à Jérusalem. Sauf qu'elle va choisir de ne pas respecter cette volonté. Le roman va ainsi être un itinéraire croisé car Anna va partir sur les traces de Madame Simone.
Votre livre est un roman post 7 octobre 2023. Vous vous emparez d’un sujet qui divise dans un contexte hautement inflammable avec une habilité époustouflante. Vous marchez sur une ligne de crête et vous évitez tous les écueils, peut-être car vous restez à hauteur de personnages. Qu'en pensez-vous et avez-vous eu des craintes d’aborder un tel sujet ?
M. S. Je ne vais pas vous dire que j'étais à l'aise car ce serait inconscient de l'être. Mais c'est un projet de roman que j'avais avant le 7 octobre. Après le massacre et avec ce qu'il se passe à Gaza, l'écriture est devenue d'une urgence absolue. J'avais un besoin intime de me replonger dans ce qui fait l'humain, dans ce qui fait que l'on est tous des êtres complexes et sensibles. Ce qui se passe est tellement atroce : j'avais envie de redonner du romanesque à cet endroit qui souvent est cantonné à l'horreur de l'actualité. J'espère que ce roman pourra réhumaniser des gens pour lesquels on ne ressent pas forcément d'empathie.
Votre roman se déroule en partie à Jérusalem et en Cisjordanie. On sent à la lecture une connaissance intime de ces territoires. Vous êtes journaliste, spécialiste du Moyen-Orient, comment votre métier a nourri ce texte ?
M. S. En fait, il y a, à propos de cette terre, de multiples récits qui cohabitent mais qui ne se croisent pas. Il y a l'histoire d'Israël par les Israéliens, l'histoire des territoires palestiniens par les Palestiniens et des récits intermédiaires, comme ceux des juifs orientaux, dont l'histoire officielle ne tient pas compte. Quand on a cette position de journaliste, on en est contact avec des récits qui sont enfermés dans de petites bulles. On se met alors à naviguer et à entendre des histoires qui ne nous sont pas familières. Cela permet de prendre du recul car les récits sont remis en perspective par ceux des autres.
Vous revenez aussi sur la chronologie de ce conflit en abordant par exemple la Nakba et la guerre des Six Jours. Comment avez-vous travaillé pour être au plus près de la vérité historique ?
M. S. C'est un roman avec une histoire d'amour et des personnages fictionnels. Néanmoins, mon ADN étant le journalisme, il était impératif que le cadre historique et géographique soit véridique. J'ai travaillé avec des archives, par exemple, sur la vie à Jérusalem dans les années 1950, avec des articles d'enquête sur le mouvement des tanks dans la bande de Gaza. J'ai fait aussi relire les chapitres historiques par un historien car je voulais que tout soit impeccable.
Votre roman s'appelle Les Certitudes. Avez-vous voulu ébranler les nôtres sur ce conflit ?
M. S. Oui car elles relèvent de l'idéologique et du théorique. On pense et on est chacun convaincu de choses de façon consciente ou inconsciente. La première des certitudes qui se brise, c'est celle d'Anna : elle pense que si madame Simone veut se faire enterrer à Jérusalem, c'est parce qu'après le 7 octobre, elle s'est réconciliée avec son identité juive. Elle essentialise donc madame Simone en la réduisant à sa religion. Mais elle va s'apercevoir que madame Simone était un peu plus complexe qu'elle ne l’avait supposé.
Au départ de l'histoire, une tendre amitié entre Simone, 75 ans, et Anna, 26 ans. Un jour, la vieille dame fait une demande surprenante à Anna. Elle souhaite se faire enterrer à Jérusalem. Certes, Simone est juive mais elle n'a pas d'attaches avec la ville sainte. En fait, la vieille dame cache son histoire depuis des décennies. Marie Semelin nous bouleverse en nous racontant, à travers leurs destins croisés, l'histoire d'un territoire meurtri. Sur leurs pas, nous parcourons cette terre, de Tel-Aviv à Jérusalem en passant par Ramallah. Au fil de ses rencontres, nous plongeons dans les traumatismes des uns et des autres. Ses personnages, d'une puissante humanité, nous donnent à voir ce conflit sous un jour différent et ébranlent nos certitudes.