Essais

Gilles Lipovetsky

De la légèreté

illustration
photo libraire

Chronique de Cyril Canon

()

Notre société occidentale, obnubilée par l’hyper modernité, vient d’ouvrir une nouvelle ère : voici l’avènement de la « civilisation du léger ». Dans un essai magistral, Gilles Lipovetsky cartographie et défriche les nouveaux territoires de cette révolution qui, discrètement, bouleverse nos vies.

Philosophe et sociologue, Gilles Lipovetsky porte depuis toujours un regard acéré sur l’évolution de notre « Occident mondialisé ». Il étudie les effets de mode, essence même de nos sociétés libérales et capitalistes, qui en disent tant sur l’homme et son existence. Dans cet ouvrage, il poursuit le travail amorcé avec Le Bonheur paradoxal (ou se déployait la notion de « l’hyper consommateur »), L’Empire de l’éphémère (dans lequel il dénonce une démocratie de la séduction vouée à l’obsolescence) et L’ère du vide (photographie cruelle de l’individualisme, de l’indifférence et du narcissisme contemporains). De la légèreté peut se lire comme la quintessence d’une pensée qui s’attacherait à évaluer le post-modernisme de nos démocraties avancées. Pour Lipovetsky, la quête de légèreté est une constante anthropologique. L’homme a toujours voulu se libérer de sa pesanteur, atteindre le ciel et dépasser ses limites. À travers cette lutte constante de l’individu contre la pesanteur, l’auteur étudie les multiples composantes et implications de la légèreté, dans la mode, le design, l’architecture, à travers les défis technologiques, les mœurs, la philosophie, la politique, la légèreté innerve notre civilisation. Cet idéal du « léger » bouscule nos existences. La nanotechnologie et le nomadisme informatique, ce désir d’immatériel, nous pousse vers plus d’autonomie. Le capitalisme de séduction consumériste s’esthétise et se pare de légèreté : le corps se doit d’être fin, l’alimentation de plus en plus light. Avec l’inconstance et la mobilité du désir (et l’entregent d’Internet), être volage devient la norme. La légèreté s’insinue jusque dans l’économie, qui s’adoucie avec les thèses sur la décroissance et le développement durable. Mais vouloir alléger nos vies a toujours son corollaire négatif. La quête de légèreté peut nourrir un sentiment de pesanteur, rendre la vie plus lourde à force de vouloir s’élever. Et le monde encore plus complexe. Des appels insistants – cette injonction permanente à la légèreté – nous invitent aux jouissances consuméristes et hédonistes du moment présent. Mais à l’heure de l’ultra-libéralisme économique, grand pourvoyeur d’insécurité, monte la peur de l’avenir. Et un grand sentiment de vulnérabilité étreint la société. Riche de potentielles, la « société légère » n’a pas détruit la volonté d’apprendre, de réfléchir. Elle fait chaque jour la preuve de sa capacité d’invention. Ses valeurs esthétiques et morales ne signifient pas le déploiement d’un modèle unique, mais l’émergence de légèretés plurielles. « Comme les bulles de champagne, la légèreté de la joie est éphémère : inévitablement, le léger d’un moment s’alourdit sans qu’on n’y puisse rien […], mais l’on sait que les bulles de champagne, après leur disparition, pourront un jour danser encore et encore. »