Essais

Nazdrovie

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photo libraire

Par Cyril Canon

Sortez vodka et chapkas ! Cet hiver, la Russie impériale s’invite en librairie. Une trépidante biographie de Catherine II et Potemkine, ainsi qu’un singulier recueil de photographies, sont deux excellentes opportunités pour entreprendre un voyage à travers la grandeur et la beauté de l’empire tsariste déchu.

Simon Sebag Montefiore, célèbre historien anglais spécialiste de la Russie, s’est lancé dans le récit du destin des deux grandes figures qui ont régné sans partage sur le pays au xviiie siècle. Basé sur des archives inédites et l’abondante correspondance entre l’impératrice et le « prince des princes » Grigori Potemkine, l’ouvrage retrace l’épopée de cette histoire d’amour passionnée qui traversa le siècle des Lumières. L’auteur, dont le style allie puissance et souffle épique, entraîne son lecteur des confins des steppes de l’Oural au Caucase, et des champs de batailles aux alcôves des palais impériaux de Saint-Pétersbourg. L’indéfectible lien qui unissait ces deux « ogres » a permis à la Russie de se transformer en grande puissance. Sur la scène européenne, le duetto impose son tempo. Mais au-delà de cette union et du fascinant caractère de la Grande Catherine, autocrate éclairée au génie politique reconnu, il s’agit surtout de réhabiliter la figure écornée de Potemkine : personnage hors normes et fantasque, vilipendé et avili par ses détracteurs pour son image de jouisseur impénitent, il fut injustement effacé de l’Histoire officielle de son pays. Montefiore dépeint un individu complexe et profond, homme d’État accompli, visionnaire et bâtisseur, véritable co-régent de l’Empire au côté de son amour. Par ses conquêtes et ses réussites diplomatiques, il a su se rendre indispensable à l’impératrice. « Du génie encore et toujours du génie », disaient ses contemporains. Le deuxième ouvrage est un trésor photographique, une invitation au voyage dans les confins de l’ancienne Russie. Sauvegardées du tourbillon furieux de l’Histoire et de l’oubli, 180 images prises il y a un siècle semblent jaillir du diable vauvert. Retrouvées dans les archives de la bibliothèque du Congrès américain, elles furent sauvées des destructions de la révolution bolchevique par l’auteur exilé aux États-Unis. Numérisés, ces milliers de clichés sur plaque de verre sortent aujourd’hui des oubliettes, faisant revivre le passé impérial russe. Serguei Mikhailovitch Procoudine-Gorsky, à la fois photographe passionné, industriel, chimiste et inventeur de talent avait décidé que la photographie couleur serait « la grande cause de sa vie ». Ses œuvres « impressionnèrent » le tsar Nicolas II, qui le missionna pour réaliser un reportage sans équivalent à travers le pays. Il s’agissait de faire l’inventaire des richesses culturelles et naturelles du gigantesque territoire. Entre 1905 et 1915, de l’Oural au Turkestan, il sillonna la Russie, saisissant des milliers de clichés de paysages, de fêtes populaires et de tableaux folkloriques. L’incroyable diversité de ces images, à la fois passées, fanées, étonnamment vives et lumineuses, ne cesse de fasciner, d’hypnotiser. ◼