Littérature française

Valérie Tong Cuong

Chroniques de la lâcheté ordinaire

L'entretien par Maria Ferragu

Librairie Le Passeur de l'Isle (L'Isle-sur-la-Sorgue)

La violence ordinaire frappe à la porte de Pax lorsque son jeune voisin est sauvagement agressé. Il aurait pu intervenir. En explorant les lâchetés ordinaires auxquelles nous sommes tous confrontés un jour, Valérie Tong Cuong nous invite à interroger notre rapport au vivre ensemble dans un roman fort et lumineux.

Pax est un comédien de seconde zone qui n’a jamais réussi à percer. Alors qu’il se prépare pour un rendez-vous professionnel important, des bruits à l’étage l’alerte sur une possible altercation mais il préfère ne pas y penser et passer son chemin. À son retour, il apprend qu’un jeune étudiant a été sauvagement agressé. Quand il rencontre une jeune femme, Emi, dont il tombe amoureux, il est loin de se douter qu’elle est la mère du jeune homme. Commence alors pour lui une véritable descente dans les affres de la culpabilité et du mensonge. Aimer, parler, mentir, guérir, pardonner… Comment se reconstruire quand on a fait les mauvais choix ? Peut-être en acceptant que « le courage, ce serait d’accueillir son propre désespoir pour mieux s’en affranchir » et en acceptant simplement de vivre. Valérie Tong Cuong explore avec finesse les guerres intérieures qui habitent des personnages en prise avec leur époque dans un roman aux résonances universelles.

 

PAGE — Vous explorez dans ce texte la « guerre intérieure » qui occupe un de vos personnages qui a préféré passer son chemin face à une situation de violence. Comment peut-il vivre avec le poids de cette culpabilité ?
Valérie Tong Cuong — Il est face à une situation universelle, une scène de lâcheté ordinaire comme nous en avons tous vécu. Dans l’histoire présente, c’est un cas compliqué de confrontation avec une agression dont il ne va pas se mêler. Nous avons tendance à mettre en place des stratégies d’adaptations car nous ne pouvons pas passer notre temps à réagir en fonction des besoins d’autrui. Et si nous nous en accommodons si bien, c’est parce que nous ne connaissons pas les conséquences de nos actes. Or dans le roman, et c’est bien là le problème, Pax va apprendre les conséquences de sa non-intervention sur la vie du jeune homme agressé et être renvoyé à sa propre culpabilité.

P. — Quand on parle de lâcheté, on a envie d’y opposer le courage qui n’est d’ailleurs pas forcément celui que l’on croit. Le vrai courage ne serait-il pas de simplement reconnaître ce qui ne va pas dans nos vies ?
V. T. C. — Effectivement. Le courage, c’est une somme de choses qui peuvent paraître des petites choses mais qui font de nous des êtres accomplis. D’ailleurs, un des corollaires de la culpabilité pourrait être le dépassement de soi. Quand on se sent coupable se met en place un régulateur social, c’est-à-dire que nous avons tous un système de valeurs, un code moral qui est prioritaire dans nos vies, on a besoin de se sentir en paix avec notre conscience. Lorsqu’on a brisé quelque chose, on va ressentir le besoin de réparer. Une forme de compensation se met en œuvre et on va tenter de redonner un équilibre à un monde qu’on a, par notre acte, contribué à perturber. C’est aussi ça le courage et le dépassement de soi, c’est chercher en soi comment on peut réparer l’irréparable.

P. — Initialement réparer, c’est déjà vivre, habiter le monde. Il y a d’ailleurs dans votre livre beaucoup de lieux « refuges ».
V. T. C. — Mes trois personnages ont chacun des combats à mener. Pour Pax, c’est la guerre avec sa propre culpabilité. Pour Alexis, le jeune étudiant qui avait un avenir tout tracé qui s’est effondré, c’est de trouver un sens à sa vie. Emi, quant à elle, a longtemps cherché sa place. Elle est issue d’une double culture franco-japonaise et d’un couple très fusionnel à l’ombre duquel il a été difficile de grandir. Ces trois personnages sont chacun confrontés à des situations de lutte et doivent donc trouver les lieux de refuge qui leur permettront d’affronter la réalité et d’avancer dans leur vie.

P. — Au-delà des guerres intérieures, il y a une notion forte dans votre roman, celle des guerres que l’on se fait les uns aux autres. Et notamment le poids que porte Emi et qu’elle transmet à son fils, l’injonction de la réussite sociale et de la pression familiale qu’elle engendre.
V. T. C. — Effectivement, c’est également un sujet fort du livre, cette pression familiale. Je voulais interroger notre époque. Nous vivons aujourd’hui avec une peur de l’avenir, de celui de nos enfants, de nos vies professionnelles… Dans une époque d’incertitude folle, on ne peut pas prédire ce que sera notre société dans dix ans. Cette tension nous amène à prendre des décisions différentes de celles que nous aurions prises autrefois et influe sur nos choix. Ainsi, quand Pax prend cette décision de ne pas intervenir, c’est aussi parce qu’il est victime de cette pression (il DOIT aller à son rendez-vous). Emi et Alexis, sont également sous l’influence de cette époque avec leurs attentes, leurs espoirs de réussite.

P. — J’aimerais revenir sur la forme narrative de votre roman où vous abandonnez le roman choral pour choisir un narrateur omniscient. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
V. T. C. — Le fait de choisir un narrateur omniscient répondait à une envie de créer une complicité plus forte avec le lecteur en lui donnant un certain nombre d’indices, d’éléments lui permettant d’anticiper l’histoire. Il m’a permis de créer une tension plus forte, d’amener le lecteur à s’interroger et d’entrer plus profondément dans les personnages. N’étant pas contrainte par l’unicité de point de vue du « je », j’ai pu donc brosser des portraits plus fouillés et aller dans des nuances plus ténues.