Bande dessinée

Sibylline

Rat & les animaux moches

illustration

Chronique de Audrey Dubreuil

Librairie Ellipses (Toulouse)

Il est de ces albums résolument inclassables que l’on aimerait faire découvrir au monde entier parce qu’ils nous touchent d’une manière surprenante et que l’on souhaite partager cette émotion qui nous a pris au dépourvu. C’est indéniablement le cas pour ce superbe Rat & les animaux moches.

Le trio Sibylline, Capucine et Jérôme d’Aviau nous avait offert, il y a quelques années, un album surprenant : Le Trop Grand Vide d’Alphonse Tabouret aux éditions Ankama. L’histoire d’un tout petit bonhomme qui se retrouve seul et part à la découverte du vaste monde. Ces pérégrinations lui font vivre des aventures étonnantes mais cette liberté lui semblera bien pesante lorsqu’il se rendra compte qu’il n’a personne avec qui la partager. Cet album, très remarqué, était déjà d’une finesse et d’une sensibilité saisissantes, deux qualités que l’on retrouve ici avec un bonheur renouvelé. Rat en a « ras le museau » de se faire maltraiter par Madame Patate, l’affreuse bonne femme chez laquelle il a élu domicile. Il décide alors de partir. Il cherche désespérément une nouvelle maison mais on le chasse de partout. On le trouve dégoûtant et on l’accuse de tous les maux. Sa fuite éperdue le mène jusqu’à une forêt et un petit village à la fois accueillant et étonnant : « Le village des animaux moches et qui font un petit peu peur ». Ici se sont réfugiés Araignée, Ver, Lamproie, Baudroie, Requin, Scolopendre… Et si Rat est heureux d’avoir trouvé de nouveaux amis, il s’inquiète de voir certains d’entre eux « tristes un peu tout le temps ». Il décide alors de trouver à chacun un foyer aimant. Il y a dans cet album beaucoup de tendresse, de sensibilité et de bons sentiments. Mais jamais de sensiblerie, de niaiserie ou de clichés. Il y est question d’amitié, évidemment, mais aussi de la place que l’on a parfois du mal à trouver dans le monde, de ces défauts qui nous gâchent la vie et de nos qualités que l’on a parfois du mal à voir, du décalage entre ce que l’on est à l’intérieur et ce que les autres perçoivent de nous, de l’image que l’on renvoie. Alors oui, sans doute, cette histoire est une histoire pour enfants mais elle ne peut que conquérir le cœur des adultes que nous sommes devenus parce qu’elle fait réfléchir et qu’elle fait du bien. C’est assurément une lecture à partager pour susciter le dialogue, rassurer les petits qui ont du mal à trouver leur place ou qui manquent de confiance en eux et pour convaincre les plus téméraires de faire attention à ceux qui sont différents et plus fragiles. Une lecture salutaire donc, servie par un dessin magnifique, un crayonné épuré qui se concentre sur la physionomie et les expressions des personnages pour montrer la beauté de chacun de ces animaux « moches » que l’on redécouvre et que l’on se prend à trouver magnifiques parce que, oui, les apparences peuvent être trompeuses. Un dessin expressif qui mange littéralement la page et dans lequel on plonge avec délectation, se laissant emporter par l’humour, la poésie et un brin de nostalgie en repensant aux albums illustrés de notre enfance avec lesquels nous avons vécu nos premières émotions de lecteur. Vous l’aurez compris, ce conte initiatique aborde des thèmes très forts en douceur et sans jamais être moralisateur. Une lecture réellement incontournable !

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