Littérature étrangère

Jonathan Coe

Le Royaume désuni

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Chronique de Aurélie Baudrier

Librairie L'Insomnie (Décines-Charpieu)

Impressionnant ! Voilà la pensée qui devrait traverser le lecteur en refermant le nouveau roman de Jonathan Coe. L’écrivain livre une radiographie de l’Angleterre sur plus de soixante-dix ans en racontant la vie de Mary et de sa famille. En imbriquant la petite et la grande Histoire, il réalise une analyse passionnante de l’évolution de la société et de ses mœurs.

Le livre débute en mars 2020 alors que l’inquiétude monte en Europe face à l’arrivée d’un virus inconnu apparu en Chine. Lorna, la petite fille de Mary, s’apprête à donner une série de concerts en Autriche et en Allemagne. Au cours d’une discussion, on lui demande ce qui est arrivé aux Britanniques pour qu’ils en viennent à voter le Brexit. Cette question résume le véritable objet de ce roman : explorer les racines de la crise identitaire que vit aujourd’hui le Royaume-Uni. Jonathan Coe opère alors un retour en arrière pour retrouver Mary. Celle-ci grandit à Bournville, près de Birmingham, une ville créée au XIXe siècle autour de la chocolaterie Cadbury. Il construit son récit autour de sept journées mythiques de l’Histoire de l’Angleterre : le jour de la Victoire en 1945, le couronnement de la reine en 1953, la victoire de la Coupe du monde de football de 1966, l'investiture du prince Charles comme prince de Galles en 1969, le mariage de Charles et Diana en 1981, les funérailles de la princesse Diana en 1997 et enfin le 75e anniversaire de la Victoire en mai 2020. À chaque événement, on retrouve son héroïne et sa famille devant la radio ou la télévision, comme tous ses compatriotes. Il parsème son récit de tous les marqueurs de la culture british : on y croise pêle-mêle James Bond, une Austin, Les Beatles, la série Coronation Street et même Boris Johnson décrit de manière hautement savoureuse ! L’écrivain en profite pour examiner avec ironie les relations complexes entre le Royaume-Uni et l’Europe. Pour illustrer son propos, il détaille la fameuse et amusante guerre du chocolat, ce conflit qui opposa notamment l’Angleterre à la France à propos de la composition des friandises britanniques. Mais Le Royaume désuni est aussi l’hommage affectueux et bouleversant d’un fils à sa mère. L’écrivain s’est inspiré de Janet Coe, décédée en 2020, pour créer le personnage de Mary. Ce roman est ainsi une manière de célébrer la vie de celle qui l’a mis au monde. Son deuil rejoint aujourd’hui le deuil de tout un pays. La mort de la reine va-t-elle agir comme un ciment ou le pays sera-t-il encore plus désuni ? Jonathan Coe excelle avant tout dans l’art de raconter la vie de gens ordinaires et, à travers eux, l’Histoire collective d’un pays. L’intime devient universel et chacun se sent relié à l’autre par un fil invisible. Les grands événements qu’il a choisis apparaissent alors comme de puissants repères structurants. À la nostalgie de ce retour dans le passé, s’ajoute comme toujours son immense humour et sa grande clairvoyance. On aimerait qu’un auteur français s’attelle à une telle tâche avec le même brio !