Littérature française

Leïla Slimani

Regardez-nous danser

illustration

Chronique de Valeria Gonzalez y Reyero

Librairie Jeanne Laffitte (Marseille)

Avec le deuxième volet de sa saga familiale au Maroc, Leïla Slimani poursuit le portait d’un pays en construction après l’indépendance, avec ses incohérences et ses rêves de grandeur, ainsi que celui d’une génération qui cherche son identité, voire son accomplissement, entre les deux rives de la Méditerranée.

Après le grand succès du Pays des autres (Gallimard et Folio), on attendait avec impatience la suite de cette passionnante saga familiale. L’histoire d’Amine, Mathilde et leur famille se poursuit intensément dans ce nouveau roman grâce à l’écriture poignante de Leïla Slimani. Dans ce deuxième tome, nous suivons de près le personnage d’Aïcha, la fille aînée du couple Belhaj, qui part en France pour des études de médecine. Elle y vit les soubresauts de la période de mai 68, elle fait face pour la première fois au racisme, mais elle fait preuve d’un entêtement farouche pour terminer brillamment ses études. Son frère Selim, resté au Maroc, se laisse embarquer par le mouvement hippie qui se développe au sud du pays, dans un vortex de drogues, amour libre et musique psychédélique. Leïla Slimani a une grande capacité à mélanger la petite et la grande histoire. Elle l’avait déjà fait dans son précédent roman avec la période de l’après-guerre au Maroc et le début des mouvements indépendantistes ; elle s’approprie ici un moment charnière de l’histoire marocaine des années 1960-1970, celui du boum économique et de la consolidation du pouvoir en place, avec son lot d’attentats, de violences policières et de contrôle idéologique. Cependant, par rapport au premier volet de cette saga, un grand changement a eu lieu et il ne s’agit pas seulement de l’indépendance du Maroc ou du fait que la vie bourgeoise est en train de remplacer petit à petit la vie rurale. Il s’agit plutôt de l’éclatement du noyau familial Belhaj. On s’aperçoit rapidement que chaque personnage de Regardez-nous danser essaie, comme une étoile filante, de briller de sa propre lumière, mais ils finissent tous par s’enfoncer encore plus dans leur solitude : Aïcha, future médecin à cheval entre la modernité occidentale et l’attachement au pays natal ; son frère Selim qui cherche sa liberté dans les drogues ou encore Selma, qui croit obtenir sa revanche en se donnant à une vie de courtisane. Même le domaine agricole d’Amine, à l’apogée de sa richesse, paraît se vider de sens, devenir un miroir aux alouettes proche du pouvoir. Dans ce magma de désirs en jachère, quelle direction prendront tous ces destins dans un pays qui leur tourne le dos ? Intense, sensible, éblouissant, ce roman choral est une merveilleuse pépite de la rentrée littéraire de cet hiver. Aucun doute : nous voulons absolument connaître la suite de la saga familiale des Belhaj ! Vivement le troisième tome !