Polar

William Gay

Petite sœur la mort

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photo libraire

Chronique de Nadège Rousseau

Librairie Passages (Lyon)

Noir, sombre, troublant : voilà William Gay, un autodidacte génial, un grand manipulateur de la langue et des codes. Petite sœur la mort vient de paraître dans la nouvelle collection du Seuil, « Cadre noir ». Un roman fascinant, dans lequel l’auteur revisite les genres de l’horreur et du gothique.

William Gay frappe fort dans le genre du « Southern gothic », dans la lignée d’Erskine Caldwell ou de William Faulkner. Une littérature sombre, ancrée dans le Sud des états-Unis, parlant de pauvreté, de mort, de fanatisme religieux, de malveillance. Avant de nous emporter dans un univers fantastique, étrange, singulier. 1982. David Binder, jeune écrivain, se lance dans l’écriture de son deuxième roman, un roman d’horreur conçu comme un futur best-seller. Au cours de ses recherches, il finit par se passionner par l’histoire des Beale et de leur maison, réputée hantée depuis plusieurs siècles. Il décide donc de se rendre sur place, dans un coin paumé du Tennessee, et entraîne sa famille avec lui. William Gay nous ouvre alors les portes de cette terrible maison et nous abreuve de son passé mystérieux, nous ramenant en 1785, en 1933, alternant passé et présent avec audace et maîtrise. Peu à peu, l’horreur prend le pas. Et cette maison, symbole de la réussite pionnière du XVIIIe siècle, nous apparaît comme une porte de l’Enfer, rongeant ses occupants de l’intérieur. Binder et sa famille en seront-ils les prochaines victimes ? Au-delà d’une histoire de fantômes, Petite sœur la mort est aussi une mise en abyme, un roman qui évoque la condition de l’écrivain. Et nous raconte, comme l’écrit Tom Franklin dans son introduction, « la façon dont une histoire peut saisir un auteur et même le transporter vers des lieux obscurs et dangereux ; la façon dont les inévitables obsessions engendrées par l’écriture peuvent mener ceux qui s’y adonnent à s’aliéner ou à perdre non seulement leurs proches mais aussi, peut-être, leur santé mentale ». Car David Binder, cet auteur prometteur, est de plus en plus obnubilé par l’histoire de la famille Beale. Il se sent « obligé » d’écrire son livre. Mais « obligé par quoi ? Par son intérêt pour ce mystère, l’intérêt qu’il éprouvait en tant qu’écrivain, et par une certaine déviance de sa conscience ? Quelle faute avait-il commise ? Comment le maléfice l’avait-il choisi ? Et si c’était lui qui avait choisi le maléfice ? » Petite sœur la mort, c’est un conte terrible du Sud des états-Unis, une histoire en apparence «simple », mais qui recèle autant de trésors que d’horreurs, qui nous parle de faute originelle, de rédemption, qui nous entraîne à la lisière des genres. William Gay explore les espaces vides, là où les possibles peuvent surgir, là où nous n’avons pas de repères, pas de références. L’atmosphère prégnante du roman, qui pèse sur le corps des personnages, qui brouille tout, nous laisse hébétés, bancals. Et c’est un bonheur que de se faire bousculer, de ne pas avoir toutes les réponses à nos questions. Ici, il suffit de se laisser aller, de se laisser surprendre... D’aimer un tout petit peu se faire peur…