Polar

Víctor del Arbol

La Veille de presque tout

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photo libraire

Chronique de Nadège Rousseau

Librairie Passages (Lyon)

En France, nous avons découvert Víctor Del Árbol il y a cinq ans avec La Tristesse du Samouraï (Babel noir). Son dernier roman, La Veille de presque tout, a reçu le prix Nadal en Espagne. Et encore une fois, c’est un roman d’une puissance terrible qu’il nous livre. Habité par des âmes esseulées, des « fous », réunis en une tragédie implacable.

L’Inspecteur Ibarra est un quinquagénaire désabusé. En 2007, il a résolu une affaire sordide impliquant la disparition d’une petite fille. Ce succès aurait dû être un tremplin pour sa carrière. Mais la version officielle, qui l’a élevé au rang de héros, n’a pas grand-chose à voir avec la vérité. Et cette vérité l’a détruit. C’est qu’il a vu l’horreur de près. Il a vu ce dont il est capable. Alors, pour fuir les rumeurs autant que la noirceur qui l’habite, ne pouvant se résoudre à presser la détente pour en finir, il a demandé sa mutation. Direction La Corogne, en Galice. Un soir d’août 2010, il est appelé au chevet d’une femme admise à l’hôpital. Trois mois plus tôt, elle avait débarqué dans un petit village de la Costa da Morte, Punta Caliente. Peu à peu, les habitants l’avaient acceptée parmi eux, malgré les zones d’ombre et les secrets qu’elle tentait de cacher. Elle espérait prendre un nouveau départ, faire une croix sur son passé. Comment ces deux personnages sont-ils arrivés là, dans cette chambre d’hôpital ? Alors qu’un sentiment d’urgence pousse les personnages dans une terrible fuite en avant, l’enquête d’Ibarra nous emporte à-rebours. Au fil du roman, Víctor Del Árbol se plaît à multiplier les voix, les temps, les lieux, en un tourbillon entêtant, fascinant. Véritable magicien de la langue, il fait naître des atmosphères, des paysages, des personnages, en quelques mots. Et cette incroyable puissance évocatrice est mise au service de la tragédie qui se déroule sous nos yeux. À Punta Caliente, ce petit village de Galice où tout se joue, l’atroce et le sublime se côtoient. Les paysages sont splendides. On entend du Vivaldi, on lit (ou brûle) du Thomas Mann, on achète des jonquilles blanches. Mais il y a quelque chose de pourri, décidément. Les fautes passées, chacun veut les expier. Chaque personnage est un pénitent en puissance, à la recherche d’un hypothétique pardon, d’un oubli absolu. Pourtant, tout est corrompu par ce passé qui les hante, qui les assaille. Qui érode les fondements de leurs vies rafistolées. Oui, on ne peut le nier, Del Árbol est un auteur tragique. Qui aime à tirer les fils de la narration jusqu’au point de rupture. Qui aime à réunir les ingrédients du drame en un seul lieu, un seul moment. Jusqu’à ce qu’une étincelle jaillisse et fasse tout flamber. Comme pour essayer de trouver la réponse à cette question, qu’il semble poser à chaque page : « Qui peut comprendre les ironies de la vie et le sens pervers de l’humour de l’univers ? » En un mouvement perpétuel entre passé et présent, entre la côte galicienne et le reste du monde, Víctor Del Árbol tisse des liens improbables avec une empathie et une maîtrise incroyables. C’est un orfèvre. Il n’y a plus qu’à se laisser aller.