Littérature française

Florent Oiseau

Les Magnolias

illustration
photo libraire

Chronique de Allan Viger

Librairie des Cordeliers (Romans-sur-Isère)

Le monde dans lequel nous vivons glorifie les gagnants. Notre bon vieux Buk les surnommait, dans son poème L’Écrasement, « Les gros cons de gagneurs » ! Florent Oiseau écrit la noblesse de l’échec et semble nous faire comprendre, au terme de trois romans humainement dingues, son attachement définitif pour une littérature des losers, déclassés en tout genre et laissés-pour-compte magnifiques.

Une littérature des losers, certes mais pas en papier crépon ! Proxénète malgré lui dans Je vais m’y mettre, couchettiste désœuvré dans Paris-Venise (Allary Éditions et Pocket), comédien raté dans son dernier livre Les Magnolias, le personnage des romans de Florent Oiseau porte haut et fièrement l’étendard de la loose ! Il ne sait pas toujours qu’il le porte mais il le porte ! Il n’est ni névrotique, ni pathétique, ni misérable. À tel point que c’en est salvateur pour lui et pour tout le monde. Exit la sinistrose ! Car la loose est un art de vivre malgré soi. Ou de se laisser vivre ! Et le loser d’incarner à son insu le droit à la paresse et à la procrastination, et à une vie plus lente depuis laquelle on peut observer le monde avec beaucoup de recul et une certaine forme de cynisme ! C’en serait presque inspirant ! Bien sûr, il y aura toujours ce « déclic » qui finit par retentir dans un coin de sa tête, comme une petite mélopée qui entraînera notre personnage – « notre » parce qu’on s’y attache foutrement – dans le grand bain d’une vie clairement pas taillée pour lui et dans laquelle il faudra qu’il rame avec les mains pour avancer en arrière ! Tribulations d’un précaire, ces romans brossent le portrait de gagne-petit qui ont la verve et la gouaille pour seuls viatiques. Flirtent avec les principes moraux et les larguent parfois soudainement et le plus naturellement du monde après leur avoir fait la nique. En tout bien tout honneur ! Car il s’agit surtout de ne pas se laisser abattre, de préserver son instinct de survie, quitte à enfreindre la loi des plus forts quand il le faut et à s’engager vers la première porte de sortie qui clignote, au-devant du grand nulle part ! Au milieu de « la tempête de merde » – comme l’écrivait Bolaño –, des femmes comme l’œil d’un cyclone, dont la force et la beauté ne résident pas dans l’image qu’on se fait d’elles ! Avec beaucoup de tendresse pour ses galériens, Florent Oiseau livre, dans son dernier roman, un portrait de famille d’une drôlerie et d’une beauté incroyables, délaissant le côté plus dogue et mordant de ses deux premiers romans pour une comédie dramatique dont l’humour noir et la mélancolie brûlent à feu doux. Alain est un homme dans la déveine. Sa principale préoccupation est de recenser un maximum de noms de poneys. Sa carrière d’acteur est au point mort depuis dix ans et n’a jamais réussi à repasser la première. Un jour, lors d’une visite aux magnolias, grand-mère lui chuchote à l’oreille : « j’aimerais que tu m’aides à mourir. »