Beaux livres

Michel Pastoureau

Le Corbeau

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photo libraire

Chronique de Mylène Ribereau

Librairie Georges (Talence)

L'éminent historien signe ici un troisième opus qui poursuit son travail consacré aux animaux prépondérants dans la culture occidentale européenne. Bien plus complexe qu'il n'y paraît, l'histoire culturelle de cet « oiseau de malheur » nous révèle bien des secrets.

Dans l'imaginaire collectif, sa représentation, plutôt sombre à l'image de la noirceur de son plumage, est bien souvent associée à la mort, comme en témoigne le générique de l'excellente série Six Feet Under qui met en scène une famille travaillant dans les pompes funèbres. De l’animal lié au diable en passant par celui qui tient compagnie aux sorcières dans les dessins animés, voilà des siècles que les croyances populaires et autres dictons font de lui l'annonciateur des mauvaises nouvelles, perpétuant ainsi une vision totalement faussée de cet animal pourtant vraiment hors du commun. S'il a fallu attendre ces trente dernières années pour que les éthologues et ornithologues dévoilent des études passionnantes sur les capacités et l'intelligence extraordinaires de cet oiseau, nos ancêtres de l'Antiquité lui avaient déjà attribué certaines qualités. En effet, Celtes et Germains ont vénéré le corvidé noir comme le prouvent les vestiges retrouvés où il est représenté autant sur les casques guerriers que sur les pièces de monnaie. Les rites à sa gloire et les marques de respect étaient alors nombreux dans ces régions du monde. Mais la haine portée par le christianisme à cet animal païen ne nous a malheureusement pas permis de raison garder. En le renvoyant ainsi au rang des animaux sataniques, le corbeau est banni et damné. Une véritable guerre fut menée contre lui, conduisant même à sa quasi-extinction dans certaines contrées d’Europe. Si la période des Lumières et des naturalistes permit une approche plus scientifique et raisonnée, il n'en est pas moins resté enfermé dans cette symbolique néfaste. Les nombreux documents iconographiques qui accompagnent le texte sont l’occasion de se rendre compte de sa puissance symbolique à chaque période. Les artistes l’ont constamment représenté, mis en scène ou en mot. Ces œuvres permettent aujourd’hui de comprendre le rôle et la place qu’il jouait alors dans la société. Vertueux ou maléfique, ce que l’on dit du corbeau en dit plus encore sur chaque époque. Michel Pastoureau nous offre une nouvelle fois un livre passionnant à regarder, à lire et à penser. Le corbeau n’a pas fini de vous étonner ni de vous surprendre. L’auteur non plus, probablement !