Jeunesse

Anne Lanoë

Amours, photographie et Histoire

Entretien par Aude Marzin

(Librairie Plaisir de lire, Plaisir)

Paris 1934. Les temps sont durs, les convenances strictes. Mais Dora, jeune Russe de 18 ans, rêve de liberté. Passionnée, elle veut acquérir un appareil photographique. Sa mère, désargentée, ne peut l’aider. Elle se décide à vendre sa chevelure à un coiffeur et va faire une rencontre déterminante.

PAGE — Vous situez l’action de votre roman lors de la création du Front populaire dans les années 1934-1936. Pourquoi avoir choisi cette trame historique ?

Anne Lanoë — Les années 1930 sont troubles, complexes et, de ce fait, passionnantes. Avec la crise de 1929 et les tensions sociales qui en résultent, les extrémismes se développent partout en Europe, et l’on assiste à une montée spectaculaire de la xénophobie et de l’antisémitisme. Au milieu de toute cette boue va pourtant naître en France le désir d’un Front populaire « pour le pain, la paix, la liberté ». J’avais envie de raconter ce moment particulier de l’Histoire française où le rejet du fascisme a conduit les intellectuels, les citoyens et les politiques à s’unir pour inventer un monde plus fraternel, plus juste.

 

P. — Dora, votre héroïne, est une Russe arrivée en France en 1917 à l’âge de 2 ans. Vous en avez fait une jeune femme assoiffée de liberté, avec des idées très en avance sur son temps en ce qui concerne la condition des femmes. Vouliez-vous faire passer un message à la jeune génération ?

A. L. — En général, je ne cherche pas à faire passer de message. Disons que j’ai rêvé le personnage de Dora en songeant à ma propre quête de liberté. Qu’aurais-je ressenti si j’étais née, comme elle, à une époque où les femmes dépendaient juridiquement de leur mari et devaient leur demander l’autorisation pour travailler, ouvrir un compte en banque ? Me serais-je révoltée à l’idée de ne pas pouvoir voter ? Je crois que j’en aurais été très malheureuse. À cette époque, on brisait le destin des femmes en leur refusant le droit de vivre comme elles l’entendaient et Dora me permet de questionner tout cela. La liberté de penser, d’aimer, de rêver sa vie. Elle est forte, affranchie, libre. Comme toutes les femmes rêvaient et rêvent de l’être.

 

P. — Au tout début de l’histoire, Dora rencontre Jean dont elle tombe instantanément amoureuse, mais épousera Dimitri (un lointain cousin) pour aider sa famille. Elle va également tomber amoureuse de lui au fur et à mesure où elle apprendra à le connaître. Quelle était votre intention en mettant Dora dans cette situation amoureuse compliquée ?

A. L. — Dès le début, j’ai imaginé Dora tiraillée entre deux amours. Comme une blessure secrète. Une faiblesse qui la rend humaine et en même temps très romanesque. Choisit-on qui on aime ? L’amour est-il un coup du hasard ? Peut-on aimer deux personnes à la fois ? Mais je dois avouer que j’ai été dépassée par le personnage de Dimitri. Il devait mourir dès le début du roman pour laisser la place à Jean et Julien dans le cœur de Dora. Petit à petit pourtant, son charme a opéré sur moi et il s’est imposé comme le deuxième amour de Dora. Ou le premier, c’est selon. Jean et Dimitri incarnent deux manières de vivre, d’être au monde. Avec chacun d’eux, elle ressent la vie différemment mais vers qui ira-t-elle ? À l’heure actuelle, je ne le sais pas moi-même et cette situation me séduit beaucoup. Ce sont les personnages qui me guident et ils prennent de plus en plus de liberté.

 

P. — Dora est passionnée de photographie et apprend tout des plus grands noms de l’époque : vous êtes-vous inspirée d’une femme ayant vécu à cette période ?

A. L. — Plusieurs femmes photographes m’ont inspirée, en réalité. La première, dont il est assez peu question dans Des lendemains qui chantent mais qui apparaîtra beaucoup plus dans le tome 2 qui traitera de la guerre d’Espagne, est Gerda Taro. On l’associe toujours à Robert Capa, car elle fut sa compagne, mais Gerda Taro, exilée allemande, fut une photographe reporter exceptionnelle, passionnée et courageuse. Germaine Krull, d’origine allemande elle aussi, m’a influencée. Ses reportages qui paraissaient dans VU et ses photographies d’architectures métalliques étaient d’une modernité incroyable. Et puis il y a Dora Maar. Cette photographe merveilleuse qui cessa de pratiquer son art, peu de temps après avoir rencontré Pablo Picasso. Ses photographies surréalistes sont d’une beauté inouïe. Je ne comprends pas qu’on n’accorde pas à ces femmes photographes la place qui leur revient. J’ai eu envie de leur rendre hommage.

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