Littérature française

Catherine Girard

Comprendre les ténèbres

Entretien par Guillaume Chevalier

(Librairie Mot à mot, Fontenay-sous-Bois)

In violentia veritas est un texte magistral sur un terrible drame familial. Plongeant dans le passé de son père, accusé d’un triple meurtre, Catherine Girard livre une exploration de l’âme humaine bouleversante. Un livre tout en nuances sur la violence, l’amour inconditionnel et le désir de comprendre.

Votre livre est un texte bouleversant et profondément intime. C'est une plongée courageuse au cœur de votre histoire familiale, marquée par l’accusation, en 1941, de triple meurtre qui a pesé sur votre père. Il a été accusé d'avoir tué son propre père, sa tante et la domestique dans le château familial. Un procès a eu lieu et votre père a été acquitté. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cette histoire aujourd’hui ?

Catherine Girard C'est l'histoire d'un drame familial dont j'ai eu connaissance à l'âge de 14 ans. Un camarade de classe m'apprend que mes professeurs m'appellent « la fille de l'assassin ». Aussitôt j’interroge mon père. Il me répond avec une grande honnêteté, sans ajouter de mensonges à l'horreur. Il me dit que oui, c'est vrai, il l’a fait. J’enrobe immédiatement cette confession dans un amour indestructible et je l'enfouis tout au fond de moi. Inconsciemment, je substitue à la domestique la grand-mère paternelle de mon père qu’il haïssait. Des années plus tard, mon fils, à qui j'avais raconté le drame familial, vient à moi en m’expliquant que mon père n’avait pas tué sa grand-mère mais Louise, la domestique. Là je replonge dans cette tragédie et je décide d’ouvrir les yeux. Je décide d’écrire pour comprendre.

Pour surmonter ce déni, comment vous êtes-vous documentée ? Quelles ont été vos sources ?

C. G. Mon premier obstacle à cette compréhension, c’est l’amour incommensurable que j’éprouve pour mon père. Un amour capable de recouvrir un tel massacre. J'ai donc dû m’extirper d’une approche subjective. Pour ça j'ai commencé par me rendre aux archives nationales de Pierrefitte. Je me suis ensuite rendue au château d’Escoire où j'ai pu dormir plusieurs nuits et m'imprégner de l'ambiance des lieux. J’ai également consulté les archives départementales de la Dordogne. Certaines pièces de ces archives sont extrêmement choquantes. Là, devant l'horreur de ce que je redécouvre, je rendosse mon déni. Un déni qui veut laisser le temps à la monstruosité sur papier de trouver sa place dans mon esprit. Je finis par me mettre à écrire parce que c'est la seule façon que j'ai pour m’y confronter. Je veux comprendre, avec des mots ce que je sais intuitivement, les vérités que je porte. Comment d'une âme d'enfant on fait un assassin ? Cette âme d'enfant, je savais qu'elle avait existé. Si l'assassin avait perdu cette âme d’enfant, le père que j'ai eu, lui, l’avait retrouvé. À partir du moment où j'ouvre les yeux, ce qui va vraiment m'intéresser, c’est le fonctionnement de l'âme humaine, un sujet qui me passionne depuis toujours. En écrivant, j'ai trouvé un moyen de dépasser l'atrocité. J'allais enfin accéder aux arcanes de mon drame familial. Ce fut un choc affectif, émotionnel, intellectuel et philosophique. J’ai ressenti une colère monumentale mais mon père n'était plus là pour que je puisse la lui opposer. Cette colère a été en quelque sorte un phare jusqu'à ce que j'ai retissé la trame de toute cette histoire pour comprendre l'horreur. Une horreur corollaire d'une violence atavique qui l’avait conduit à ce carnage et dont j’étais l’otage.

 

Dans le livre vous restituez plusieurs lettres que votre père a écrit à son père. Leur correspondance est remplie de respect et de tendresse mutuelle alors que votre grand-père était éminemment violent avec son fils. Vous écrivez qu'il y a des « mensonges sincères » dans cette correspondance. Est-ce-que le mensonge a servi de mécanisme de survie ou de communication au sein de votre famille ?

C. G. Je pense que l’on se ment tous un petit peu quand on se raconte notre propre vie. Notre point de vue n’est jamais très objectif et celui d’un écrivain moins encore. Un écrivain s'attelle à la vérité en glanant tout le champ des possibles et en soulevant des tas d'émotions qu’il transmet. Ici nous avons affaire à une famille où tout le monde est littéraire. Mon grand-père et mon père étaient écrivains. Ces « mensonges sincères » sont des façons de dire des choses très profondes mais qui ne sont pas rationnelles.

 

 

Ce texte s'ouvre sur une révélation fracassante : le père adoré de la narratrice est l'auteur d'un triple meurtre. Le livre se déploie comme une investigation courageuse, non pas pour excuser, mais pour comprendre. Catherine Girard plonge dans les archives familiales et les souvenirs tus pour répondre à la question qui hante le récit : comment un homme aimant bascule-t-il dans l'horreur ? Elle dissèque avec une lucidité implacable les secrets et la violence psychologique qui ont miné sa lignée, révélant une vérité complexe, nichée au cœur même de la violence. Elle explore avec une plume magistrale la puissance de l'amour qui survit à l'horreur. Un livre coup de poing, essentiel et profondément humain.

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