Littérature française

Gaëlle Nohant

Les traces

L'entretien par Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Le nouveau texte de Gaëlle Nohant n'est pas un roman sur la Seconde Guerre mondiale. C'est une fiction brillamment documentée et composée sur les traces transgénérationnelles de cette guerre dans nos vies. À partir d'objets ayant appartenu à des déportés, des enquêtes destinées à identifier leurs héritiers raccommodent des filiations brisées.

Quel a été le point de départ de ce roman ?

Gaëlle Nohant - Un jour, j'ai appris que le centre de documentation de Bad Arolsen en Allemagne était le plus grand centre d'archives réunies pour éclairer le destin des victimes de la persécution nazie. Tous les archivistes y sont des enquêteurs. Quand j'ai découvert la mission de restitution des objets, j'ai su que j'écrirais un roman sur l'impact et les traces de cette guerre aujourd'hui à travers ces objets. Mettre tant d'énergie à restituer des objets qui n'ont de valeur que symbolique ou affective dans un monde ultra-marchand, c'est magnifique !

 

Trois objets préoccupent votre enquêtrice. Comment sont-ils apparus dans votre histoire ?

G. N. - Très vite, avant les personnages. Il y a trois fils dans cette histoire, trois enquêtes autour de trois objets et trois déportés. J'ai dû littéralement inventer ces enquêtes tout en les menant. Ce fut une aventure bouleversante, passionnante. Je pensais connaître beaucoup sur cette guerre et ses traces puisque je lis sur ce sujet depuis longtemps. Là, j'ai découvert un continent nouveau.

 

Y a-t-il un personnage qui vous tient particulièrement à cœur ?

G. N. - Eva, qui n'est pas rattachée à un objet. C'est une survivante du ghetto de Varsovie et d'Auschwitz. À 15 ans, dans ce centre créé après-guerre, elle devient enquêtrice pour des raisons personnelles car sans nouvelles de sa famille. Elle y reste et forme Irène à son arrivée. Elle est dure, féroce et aussi pleine de blessures. Elle traverse le livre : on voit comment se constitue une survivante, comment elle était avant, comment elle est après, forcément plus jamais la même. C'est un personnage que j'ai approché le plus délicatement possible. Je pense à elle encore aujourd'hui comme si elle existait, avait existé. Comme tous mes personnages.

 

Vous mettez en scène de nombreux personnages, époques et pays. Y avait-il un pays qui vous attirait ?

G. N. - Mon roman se situe en Allemagne, en France, en Grèce, en Argentine, en Israël. Mais c'est la Pologne qui a pris le pas. J'ai pris conscience qu'avant l'écriture, j'avais une vision de cette guerre héritée des alliés de l'Ouest qui ont surtout libéré des camps de concentration et pas ceux de mise à mort. L'épicentre de cette guerre est à l'Est, le centre névralgique en serait la Pologne. Je me suis décentrée de ma vision et j’ai fini ce roman séduite par « l'âme polonaise », jusque dans ses contradictions, sa complexité et les blessures de son Histoire.

 

Vous donnez voix aux descendants des victimes, aux jeunes générations, c'était important ?

G. N. - Énormément ! Chaque enquête est le mouvement d'un objet vers un descendant. Je voulais qu'on ait le temps de rencontrer les descendants et de voir quel impact un objet a sur leur vie. En général, les gens s'adressent au centre pour une requête précise mais là, dans le cadre de la restitution des objets, ils n'ont rien demandé. Parfois le descendant ne sait même pas que son aïeul a été déporté ou bien découvre des secrets de famille. Ce n'est pas anodin de recevoir un objet, de surcroît hanté. Comment un objet pareil modifie-t-il nos vies ? Je tenais beaucoup à la dimension contemporaine de ce roman qui n'est pas sur la Seconde Guerre mondiale mais sur les traces transgénérationnelles de cette guerre dans nos vies actuelles.

 

Pourquoi ce titre ?

G. N. - Le service des enquêteurs s'appelle vraiment « la mission de recherche et d’éclaircissement des destins ». J'ai trouvé ce nom magnifique et j’ai voulu garder cette lumière dans le titre. Mon enquêtrice, Irène (qui signifie la paix), essaie de raccommoder des fils tranchés par cette guerre qui a brisé les filiations. C'est modeste et aussi très beau et doux. Il me semble que dans ce roman, il y a beaucoup de lumière. Elle vient des personnages, je n’ai pas essayé d’en mettre. Il me semble aussi que c'est peut-être celui où il y a le plus d'amour. Sous toutes ses formes : l'amour filial entre grands-parents, parents et enfants, l'amour de solidarité entre compagnons de misère, l'amour amoureux. J'espère que cela permet de tenir chaud pour ausculter la nuit.

 

En Allemagne, à Bad Arolsen, l'International Tracing Service est le plus grand centre d'archives sur les persécutions nazies. Créé dans l'immédiat après-guerre, il s'évertue à déterminer le sort des victimes. Depuis 1990, Irène, une expatriée française y est une enquêtrice méticuleuse. En 2016, on lui confie une nouvelle mission : restituer des milliers d'objets dont le centre a hérité à la libération des camps aux descendants de leurs propriétaires. Infatigable raccommodeuse des filiations brisées, Irène se lance corps et âme dans trois enquêtes aussi vertigineuses, bouleversantes que lumineuses. Sur la trace des disparus, elle cherche les familles d'aujourd'hui. Son credo : ne pas laisser la mort éclipser la vie.