Littérature étrangère

Benjamin Moser

Sontag

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Chronique de Laura Picro

Librairie L'Arbre à lettres (Paris)

Susan Sontag a voulu créer le sujet qu’elle voulait être et bâtir sa propre mythologie. Dans une enquête rigoureuse, sensible et passionnante, Benjamin Moser a réalisé l’exploit de la dépeindre au plus près, déjouant les pièges que la romancière, essayiste, dramaturge et cinéaste a semé en manipulant avec dextérité les métaphores tout au long de son existence.

Quoi de plus complexe que d’écrire la biographie de Sontag ? Cette grande figure intellectuelle du XXe siècle a veillé toute sa vie à ne se laisser emprisonner dans aucune catégorie et a constamment joué entre le paraître et l’image réelle. Pour reconstituer ce puzzle identitaire qu’elle-même n’est jamais parvenue à saisir, Benjamin Moser a étudié de nombreuses archives, parfois inédites et analysé minutieusement ses écrits, romans, essais et journaux, mais également réalisé de nombreux entretiens avec ceux qui l’ont côtoyée. Dans ces pages, se déploie la vie d’une femme convaincue qu’elle aura une destinée exceptionnelle et qui a tout mis en œuvre pour l’accomplir avec une détermination farouche : des déracinements transformés en cosmopolitisme aux victoires contre deux cancers, en passant par la célébrité, le militantisme et de nombreux amours, elle ne s’est jamais départie d’une curiosité insatiable et a développé une acuité à saisir les enjeux de l’époque et à se trouver là où ils se déroulaient, devenant une chroniqueuse incontournable. Une vie qui s’est modulée au rythme de ses rencontres, renouvelant sans cesse ses préoccupations. Une biographie, c’est aussi un regard. Celui de Benjamin Moser est rigoureux et scientifique : il exploite savamment ses sources et replace chaque événement dans un contexte historique et socio-culturel très développé. Mais il est également soucieux de saisir toutes les aspérités et ambiguïtés de sa personnalité avec une approche psychologique poussée : il se penche sur les failles creusées dès l’enfance, sa propension à la contradiction et au mensonge, ses luttes intérieures et l’insoluble dichotomie entre le corps et l’esprit qui l’a hantée pendant si longtemps. Il creuse les sources et les conséquences de ce permanent décalage entre l’ego et les masques qui ont alimenté son besoin de reconnaissance et son sentiment d’imposture, mais aussi son ambivalence par rapport à l’homosexualité. Transparaît alors un être en construction permanente, aux multiples renaissances. Une personnalité très poreuse à son environnement dont la démarche intellectuelle épouse les mouvements de son époque : une pensée perpétuellement fluctuante avec comme seul point fixe l’idée que l’art est un palliatif aux désillusions de la vie et qu’on peut donc la risquer pour lui. Une immense biographie qui se lit comme l’aventure d’un siècle.