Essais

Martin de La Soudière

Par monts et par vaux

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Chronique de Cécile Roussilhe

Librairie A la Page (Vichy)

Martin de la Soudière arpente une fois de plus le paysage, non pas en géographe soucieux de répertorier les particularités physiques d’un environnement, mais en amoureux des espaces que l’évolution naturelle et l’homme ont façonnés, et dont notre imaginaire s’empare pour mieux les habiter.

Martin de la Soudière, dans son nouveau texte, Par monts et par vaux, choisit de s’attacher aux motifs, c’est-à-dire aux aspects qui modèlent le territoire, et d’en rendre compte sous forme d’abécédaire, soulignant par ce choix de présentation le caractère polymorphe et hétérogène de ce que l’on nomme communément nature, à propos de laquelle Fernando Pessoa écrivait : « La Nature n’existe pas. (…) La Nature est faite de parties sans un tout. ». Cet abécédaire n’est pas un manuel géographique de plus, analysant et cartographiant les différences physiques d’un espace donné. D’autant plus que le propos ne vise pas à l’exhaustivité, au contraire : Martin de la Soudière, en « amoureux des paysages », propose une approche subjective, donc parcellaire, forcément lacunaire. Le choix des motifs proposés fait fi des destinations réputées vers lesquelles convergent les hordes de touristes. En revanche, il s’attarde volontiers autour des terres délaissées ou ingrates, ou simplement « des lieux ordinaires, en tout cas des lieux communs » par opposition aux « hauts lieux ». Ainsi sont évoqués des paysages aussi divers que les landes, les étangs, les marais que les terrains mal délimités comme les confins, les friches, les espaces hésitants aux abords d’une frontière. Ont leur place dans cet abécédaire les motifs familiers ou quelconques qui d’ordinaire n'attirent pas le regard, comme le chemin, la haie qui pourtant, du fait de leur symbolique forte, peuvent accompagner nos pérégrinations intérieures. « Un chemin, ce pourrait être cela : un itinéraire qui se transforme, se métamorphose et conduit à un plus loin dans un paysage et dans notre imagination. » Ces lieux, aussi déshérités soient-ils et probablement pour cette raison-là (on pense à Gaston Bachelard et sa Poétique de l’espace), n’en constituent pas moins des lieux de réconfort, paysages-refuges qui recueillent nos secrets, se laissent habiter par nos imaginaires, leur nature sauvage cachant en réalité une inépuisable tendresse. Le féminin affleure dans la rondeur de la colline, dans les zones à l’abandon qui deviennent terres d’asile pour migrants, « motif social et politique, plus que strictement géographique, une terra incognita (…), terre de brassage et d’altérité ». Ces non-lieux voués à l’anonymat sauvent pourtant, révélant par leur capacité d’accueil toute la puissance maternelle qu’ils abritent. Martin de la Soudière souligne cette proximité avec les lieux qu’il évoque, qui tient autant à ce qui se dégage d’eux (une humilité doublée d’une sauvagerie) qu’à leur accessibilité. Ils sont à portée de foulée, prompts à offrir un moment de repos, comme le col où « on se désaltère, on reprend son souffle » ou les collines faciles à gravir qui « n’intimident pas ». La familiarité ressentie envers les espaces évoqués s’explique également par les souvenirs d’enfance qui rehaussent leur attrait, justifient le choix d’une profession, orientent, ancrent la sensibilité. Les terres aimées, traversées, rêvées trouvent naturellement leur place dans cet abécédaire, que ce soit la terre d’enfance, les Pyrénées ou des régions découvertes plus tard, comme le Massif central avec son Forez sauvage. Les motifs, ce sont aussi les éléments météorologiques qui viennent bousculer le regard, déformer le paysage, tels le brouillard ou la neige qui engendrent « autant de modèles paysagers que d’états du ciel », les motifs terrestres se métamorphosant au gré des motifs célestes. On l’aura compris, Par monts et par vaux propose une déambulation qui serpente entre espaces géographiques et contrées fantasmées, faisant la part belle aux prédécesseurs, arpenteurs de paysages de tout bord, géographe ou poète, écrivain ou simple promeneur, nous enjoignant à nous aventurer aussi, le nez au vent : notre imagination féconde le paysage qui à son tour nous nourrit, transformant le lieu en milieu dans lequel nous avons certes notre part d’existence mais aussi et surtout notre part de responsabilité.