Littérature étrangère

Alba De Céspedes

Le Cahier interdit

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photo libraire

Chronique de Clara Liparelli

Librairie du Channel (Calais)

C'est en découvrant les romans d’Alba de Céspedes, en cours de republication chez Gallimard à la demande d’Elena Ferrante, qu’on se demande comment des textes d’une telle trempe ont pu tomber en désuétude.

Après Elles (1949) l’année dernière, l’éditeur nous fait cadeau du Cahier interdit (1952), chroniques intimes et universelles d’une mère de famille dans la Rome des années 1950. Valeria Cossati a 43 ans, un mari, deux enfants, un travail et un foyer à tenir. Elle s’en accommode avec brio, sans jamais rechigner, jusqu’au jour où elle fait l’acquisition d’un petit carnet noir pour recueillir ses réflexions les plus intimes. Ce cahier devient vite l’unique exutoire d’une femme prisonnière d’un quotidien aux contours si étroits qu’ils lui permettent à peine de rêver. Guidée par ses bonnes mœurs et la route que la société a tracée pour elle avant même sa naissance, Valeria découvre au fil des mots qu’elle couche sur le papier les velléités émancipatrices qui l’animent, les contradictions qui se bousculent en elle et la maintiennent dans un combat perpétuel entre sa morale et sa soif de liberté. Terrifiée à l’idée que les siens mettent la main sur « le diable qui se dissimule dans chacune de ces pages », elle redouble d’ingéniosité pour le changer sans cesse de place et s’invente des excuses pour rester éveillée tard le soir afin d’écrire en cachette dans la cuisine : sa prison et son unique refuge. Si la narratrice n’a d’apparence que peu de choses en commun avec Virginia Woolf, on ne peut s’empêcher d’établir au fil des pages un parallèle étroit entre cette mère de famille désœuvrée et étouffée par les conventions de son époque et la célèbre femme de lettres britannique dans leur volonté de disposer d’une chambre à elles, afin de pouvoir penser, écrire et donc vivre. Bien plus qu’un simple condensé d’élucubrations domestiques, Le Cahier interdit est le témoignage subversif, juste et infiniment précieux d’une époque pas si lointaine où les femmes réclamaient, enfin, voix au chapitre.