Littérature française

Kaouther Adimi

Les richesses du cœur

L'entretien par Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Vous parler d’un lieu et d’un homme, de cette minuscule librairie de la rue Charras que va créer Edmond Charlot, vous parler de la traversée d’un siècle et de ses fureurs, vous parler d’un homme qui jamais ne dévia : la littérature, les écrivains, la transmission. Suivez les mots de Kaouther Adimi.

Première sélection du Prix Goncourt 2017

Deuxième sélection du Prix Médicis 2017

Première sélection du Prix Interallié 2017

Deuxième sélection du Prix Renaudot 2017

Deuxième sélection du Prix du Style 2017

 

PAGE — Nos richesses, votre nouveau roman, nous parle d’une librairie créée à Alger en 1936 par un drôle de personnage. Qui était Edmond Charlot ?
Kaouther Adimi — Edmond Charlot a vingt et un ans en 1936. Il est issu d’une famille installée en Algérie dès le XIXe siècle. Lors d’une visite à Paris, il découvre la librairie d’Adrienne Monnier, rue de l’Odéon, et il est ébloui par ce lieu, lui qui est fasciné par tout ce qui est imprimé. Son professeur de philosophie à Alger, Jean Grenier, qui était également celui de Camus, l’encourage à ouvrir une librairie et à faire de l’édition. Il trouve un local au 2 bis rue Charras et ouvre une librairie de prêt qui s’appelle « Les Vraies Richesses », d’après le titre du livre de Giono. Cette petite boutique de sept mètres sur quatre va être au centre d’une grande histoire.

Kaouther Adimi, Nos Richesses (Seuil) from PAGE des libraires on Vimeo.

P. — Son père travaille dans l’édition pour Hachette et lui fait comprendre que ce n’est pas avec le livre qu’il va gagner de l’argent. Car ce qui frappe tout de suite dès les premières pages, c’est cette confiance ou cette insouciance qu’il a dans son projet.
K. A. — Oui, il est convaincu que la littérature est sa boussole. Lors d’une interview, il raconte que sa famille aurait préféré qu’il soit employé des PTT ou fasse carrière dans le négoce. Un métier « utile ». À l’époque, on ne faisait pas d’argent avec le livre. Il disait aussi qu’Alger n’était pas une ville très culturelle à ce moment. On vendait les grands prix littéraires et c’était tout, mais ce n’était pas sa vision. Dès le début, Edmond Charlot souhaite publier des écrivains venus de tous les horizons de la Méditerranée sans distinction de langue ou d’origine. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans l’Algérie des années 1930 et avoir ce type de discours est assez incroyable pour l’époque. Il y a aussi cette dimension d’amitié qui va le suivre tout au long de sa vie et qui va aussi le perdre. Il ne dissociera jamais sa vie privée de sa librairie et tous ceux qui travailleront avec lui seront aussi ses amis.

P. — Dans le roman, il y a plus d’un roman. Nous sommes en 2017 et un homme, Ryad, va venir pour vider les lieux du 2 bis rue Charras, vouloir en extirper jusqu’à l’âme. Et devant cette librairie, il va rencontrer Abdallah. Comment est née cette autre partie du roman ?
K. A. — Je ne voulais pas écrire une biographie de Charlot. Ce qui m’intéressait dans son histoire c’était la période de 1935 à 1961. C’est-à-dire, la grande période, celle où il va mûrir son projet de la librairie des « Vraies Richesses », de sa maison d’édition, de sa tentative de conquête de Paris, tout cela dans un contexte historique riche en bouleversements : la Seconde Guerre mondiale, l’Occupation, le débarquement, la guerre d’Algérie… Il me semblait important et intéressant de raconter l’histoire d’un lieu en plus de l’histoire d’un homme. Ce lieu est « Les Vraies Richesses », une minuscule librairie qui existe toujours au 2 bis de la rue Hamani. Il est incroyable que cet endroit ait survécu à tous les soubresauts de l’Histoire et qu’il ait toujours la même vocation : le prêt de livres. J’ai imaginé ce qui se passerait si on le fermait pour le transformer en boutique de beignets et j’ai raconté ces deux histoires : celle, réelle, de l’aventure de Charlot qui a pris la forme d’un carnet et celle, fictive, des « Vraies Richesses » aujourd’hui, à travers les personnages de Ryad, jeune homme venu vider la librairie de ses livres, et Abdallah, dernier gardien du lieu.

P. — En mars 1941, Camus lui remet les manuscrits de L’Étranger, Le Mythe de Sisyphe et Caligula dont il pressent instantanément toute la puissance. Mais le manque de papier l’oblige à inviter Camus à s’adresser à Gallimard. N’est-ce pas là la première fracture dans son parcours ?
K. A. — Oui et c’est d’ailleurs assez triste. Il est l’éditeur de Camus, dont il sait dès le début toute la valeur, et lorsqu’il tient entre ses mains les trois textes de Camus, il a conscience qu’ils sont extrêmement précieux mais il est obligé d’y renoncer par manque de papier et d’argent. Il lui conseille de s’orienter vers un éditeur en métropole et Camus rejoindra alors Gallimard. C’est une fracture, un rendez-vous raté, un problème de timing. Appelons-le comme on veut. Malheureusement, ce ne sera pas le seul. Ainsi, Charlot a toujours rêvé de publier des auteurs algériens mais il fera faillite au moment même où les premiers écrivains algériens de langue française vont émerger, tels Kateb Yacine ou Mohammed Dib. Charlot, c’était l’éditeur algérois, le grand amoureux de la Méditerranée, l’un des rares – voire le seul – présent en Algérie, et pourtant il rate tous ces écrivains algériens qui se retrouveront pour la plupart au Seuil, introduits par Roblès ou Cayrol.

P. — On a le sentiment, en lisant le roman, qu’il est toujours à côté des grands écrivains du siècle : il y aura Gide, Giono, Saint-Exupéry, Jules Roy et tant d’autres. Quel éditeur !
K. A. — Quand il arrive à Paris à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a déjà un catalogue d’auteurs incroyable. Sa maison d’édition va obtenir de grands prix : le Femina, le Renaudot…. Mais la concurrence est rude : les autres maisons d’édition ne lui laissent aucun moment de répit. Le modèle économique des éditions Charlot n’était pas viable et bientôt, une partie de ses amis qui sont ses associés vont lui demander de quitter sa propre maison d’édition. Charlot n’était peut-être pas un grand homme d’affaires mais c’était un grand éditeur.


Partez à la rencontre de l’auteure dans la librairie près de chez vous :

8 au 10 septembre Livre sur la place à Nancy - table ronde dimanche de 14h à 15h30 à la préfecture
13 septembre, Librairie Decitre à Lyon
14 septembre, Librairie La Petite Lumière, Paris 14e
15 septembre, Librairie Au Brouillon de culture à Caen
19 septembre, Librairie Atout livre à Paris 12e avec Kamel Daoud et Amin Zaoui
21 septembre, Journée Rentrée littéraire Librest au Théâtre de la Bastille
26 septembre, Médiathèque G. Wolinski à Noisy le Grand avec la librairie Folies d’encre
27 septembre, Librairie Les Vrais richesses, Juvisy-sur-Orge
29 septembre, Librairie Saint Christophe à Lesneven
30 septembre, Librairie Mots et images à Guingamp

10 octobre, Librairie Coiffard à Nantes
19 octobre, Librairie Le Square à Grenoble
20 octobre, Librairie Passages à Lyon
25 – 26 octobre Salon du livre d’Alger

10-12 novembre, Foire de Brive
14 novembre, Médiathèque centrale Emile Zola à Montpellier