Jeunesse

Joanne Richoux

La vie en mauve et gris perle

  • Joanne Richoux
    PKJ
    12/01/2023
    304 p., 14 €
  • L'entretien par Céline Bouju
    Bibliothèque/Médiathèque La Chapelle-Saint-Aubin (La Chapelle-Saint-Aubin)
  • Lu & conseillé par
    10 libraire(s)

L'entretien par Céline Bouju

Bibliothèque/Médiathèque La Chapelle-Saint-Aubin (La Chapelle-Saint-Aubin)

Ouvrir ce nouveau livre de Joanne Richoux, c’est comme ouvrir un flacon de parfum minutieusement façonné dont les multiples senteurs seraient à la fois enivrantes et suffocantes. Si Sillage s’inspire du roman Le Parfum, l’autrice s’en éloigne pour une version moderne mais tout aussi sombre et percutante.

 

Sillage est présenté comme une version moderne du roman Le Parfum de Patrick Süskind paru en 1986. Pourquoi et comment vous en êtes-vous inspiré ?

Joanne Richoux - À la sortie de mon premier roman, une lectrice a estimé que j’avais une écriture « sensorielle ». Je la remercie parce qu’elle a mis des mots sur quelque chose que j’opérais de manière inconsciente : chercher les détails d’une scène afin de la rendre la plus intime et la plus vivide possible. Ça passe par la description, les impressions, l’ambiance, le toucher, la musique (il y a toujours une playlist dans mes romans) mais surtout ça passe par les odeurs. Peu à peu, cette dimension a pris de la place. Il y a souvent des fragrances réelles dans mes textes, portées par les personnages par exemple, et je parfume mes romans en dédicace depuis des années. Sur Sillage, j’ai décidé de pousser le truc à fond en mettant les odeurs au centre du récit et non plus en périphérie ou dans le décor puisque Jade travaille pour une boutique de parfumerie puis auprès d’un créateur de renom. Difficile de ne pas faire un clin d’œil à Süskind du coup !

 

Ce roman se lit et se sent. Les descriptions olfactives sont saisissantes. Avec Jade, nez de génie, on découvre les coulisses de la parfumerie standardisée mais aussi plus artisanale. Quel est votre rapport à cet univers du parfum mais aussi plus largement des senteurs ? 

J. R. - L’hiver, quand on est engoncé dans un caban, sous une écharpe et que le nez fait mal tellement il est rouge, je trouve ça foudroyant de franchir la porte d’une parfumerie. Les flacons, les mouillettes, les vendeuses, le papier cadeau… Au printemps, sous la pluie, en forêt… J’aime l’idée de pouvoir collectionner ces choses insaisissables, très émotionnelles, dans des bouteilles en verre. D’autant que l’Histoire est aussi associée aux parfums : ce ne sont pas juste des cosmétiques, ils témoignent des époques et des gens qui nous ont précédés. Les odeurs sont magiques.

 

Amour obsessionnel, déracinement, solitude, angoisse existentielle… Certains thèmes vous sont familiers mais cette fois-ci, la noirceur prédomine et le récit prend des allures de thriller. Comment l'expliquez-vous ?

J. R. - Peut-être qu’en vieillissant, j’ai besoin de récits de moins en moins inoffensifs. Ou peut-être que la société en elle-même semble de moins en moins inoffensive. Je ne sais pas. Mais j’ai voulu une héroïne qui bascule, oui, et de la noirceur au milieu des couleurs saturées que sont la vingtaine, l’amour et la vie de jeune adulte. J’ai voulu brouiller les notions de morale également, de « gentils » ou de « méchants ». Je cite aussi certaines œuvres qui me sont chères, comme les séries American Horror Story ou Euphoria (que je suis en train de binger pour la énième fois), où le traitement des personnages est à la fois honnête et emphatique. Il n’y a ni monstres ni anges, juste des garçons et des filles qui souffrent, brillent , blessent parfois. On laisse vivre les personnages, sans les juger, on permet au public d’avoir des ressentis complexes à leur sujet et on n’étiquette personne. C’est important, selon moi, cette notion de nuances. Surtout aujourd’hui où on a tendance à brandir un avis épidermique sur tout.

 

Sillage semble aussi plus personnel, plus intime. Est-ce le cas ? Comment l’avez-vous travaillé par rapport aux précédents ?

J. R. - Quand je l’ai écrit, je venais de changer de vie, j’avais quitté la ville pour m’installer en Bretagne, soit le trajet inverse de Jade. Elle évolue dans l’industrie du parfum, moi dans celle du livre. Ces métiers partagent des travers communs, comme la standardisation ou une production parfois boulimique. Jade est passionnée, elle a des rêves de grandeur et l’envie de créer. Elle a un rapport particulier à son corps, à l’art, aux autres. En fait, j’appréhende sincèrement la sortie du livre car, pour être pompeuse, Jade, c’est moi ! Je n’ai pas sculpté une héroïne avec des qualités et des défauts, je l’ai plutôt infusée de ma personnalité, de mes expériences et de ma lecture du monde. Il faudra donc adresser les critiques à mon psy !

 

Pour finir, pouvez-vous nous dire que « sentira » votre prochain roman ?

J. R. - C’est difficile d’avoir vraiment une réponse claire à cette question. Il sentira l’apocalypse, une colère de gauche et des familles toxiques. Il sentira aussi l’érotisme, grâce à un garçon qui se parfume avec le « Ptisenbon » de Tartine et Chocolat.

 

À propos du livre
Jade vient d’arriver à Paris, laissant derrière elle sa mamie et la Bretagne. Passionnée par la parfumerie et dotée d’un odorat exceptionnel, Jade a trouvé un emploi dans une grande enseigne. Si elle n’y trouve pas son compte, cela lui permet de payer son loyer. Grâce à Sibylle, une collègue, elle rencontre Victor. L’attirance est immédiate. Mais Victor est compliqué et plonge Jade dans un trouble profond. Jade voit alors une autre porte s’ouvrir, celle de Zacharie Mignard. Cet artisan parfumeur croit en elle et la pousse à réaliser son rêve : créer sa propre fragrance. Mais bientôt le rêve devient cauchemar et Jade semble ne plus rien contrôler.