Bande dessinée

Virginie Despentes

Vernon Subutex

illustration

Chronique de Claire Rémy

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Adapter les quelque 1200 pages de ce grand roman contemporain qu’est la trilogie Vernon Subutex de Virginie Despentes (Grasset et Le Livre de Poche), voilà un défi pour lequel il fallait bien du courage ! Délaissant à cette occasion son noir et blanc fétiche, Luz s’y attelle brillamment, dans cette adaptation rock et libérée.

Trois ans après le point final de Despentes aux aventures mystico-rock de Vernon Subutex et après une adaptation en série plus que discutable, l’annonce d’une version BD a pu en laisser plus d’un sceptique, voire désabusé. Découvrir le nom de Luz accolé à ce projet mettait un peu de baume au cœur en attendant, fébrile, la (re)lecture illustrée de ce livre adoré. Ne faisons pas durer plus longtemps le suspens, on est là face à une totale réussite et surtout, plus qu’à une classique adaptation, à une vraie nouveauté à part entière. Reprenons : expulsé brutalement de son appartement parisien pour cause d’impayés, Vernon Subutex, ancien disquaire, se retrouve à la rue du jour au lendemain, doublement assommé car venant d’apprendre la mort tragique de son ami et superstar de la chanson, Alex Bleach. Avec la mort du métier de disquaire, c’est la vie sociale de Vernon qui s’est éteinte et, avec elle, une vie à peu près décente. Se retrouvant SDF, il va tenter de recontacter les anciennes figures de son passé en quête d’un bout de canapé, au sein d’une société hyper-connectée dans laquelle il se sent déphasé. Connu de tous les passionnés de rock et de tous les curieux de musique, sa boutique Revolver était un point de chute pour toute une bande de potes que les années ont éloignés et que la mort de Bleach va faire se revoir. Car peu de temps avant de mourir, Alex avait laissé à Vernon un enregistrement, confession d’un artiste malade de vivre et drogué jusqu’à l’os. Vernon n’a jamais pris la peine d’écouter le contenu de ces cassettes qui vont pourtant vite être convoitées pour leur contenu sulfureux et faire se mêler des personnages aux antipodes les uns des autres. Mêlant habilement l’enquête à la chronique sociale, cette première partie (sur deux) offre une galerie de personnages auxquels le trait lâché de Luz donne une énergie folle. Écrite à quatre mains par Despentes et Luz, cette version dessinée nous offre le plaisir de retrouver les mots si percutants de l’auteure, agrémentés de quelques modifications en forme de clin d’œil (notamment des références à Luz ou Charlie Hebdo). Elle-seule sait parler ainsi de notre société aussi complexe qu’absurde. Le dessinateur s’essaie pour la première fois à la couleur sur une histoire au long court et c’est on ne peut plus réussi (la mise en image de la confession de Bleach en fin d’album est incroyable). Avec cette véritable réinterprétation du roman, on est bien loin d’une pâle transposition mais plutôt face à une œuvre à part entière.