Bande dessinée

Manuele Fior

Les Variations d’Orsay

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Chronique de Claire Rémy

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Pour leur deuxième collaboration avec le Musée d’Orsay, (après le Moderne Olympia très réussi de Catherine Meurisse), les éditions Futuropolis ont cette fois confié les clés du bâtiment au talentueux Manuele Fior. Il nous offre sa vision du musée et de ses œuvres, entre fantaisie, histoire de l’art et poésie.

Paris, 1900. L’Exposition Universelle fait rentrer de plain-pied la France artistique dans le siècle nouveau. Paris, 1855. Le jeune Edgar Degas, 21 ans tout juste, rencontre l’un de ses maîtres, Jean-Auguste-Dominique Ingres, qui l’influencera énormément et lui donnera de précieux conseils, notamment pour la réalisation de l’une de ses toiles, Sémiramis construisant Babylone. Musée d’Orsay, années 2000. Une gardienne de musée s’ennuie sur sa chaise. Elle ne voit pas l’intérêt des tableaux dont elle a la surveillance et finit par s’assoupir sur sa chaise, nous entraînant dans des divagations farfelues à la suite de La Charmeuse de serpent d’Henri Rousseau. C’est entre ces trois époques que l’on navigue au fil du récit de Manuele Fior. De l’atelier d’Ingres, où se cristallisent les conflits entre anciennes et nouvelles générations, aux coulisses du musée d’Orsay où sont actuellement conservées les toiles des grands maîtres du XIXe siècle, ces Variations sont à la fois temporelles et anachroniques. Par petites touches, des éléments de vocabulaire typiquement XXIe siècle, voire carrément « d’jeuns », sortent ainsi de la bouche des personnages du siècle passé. C’est cette fantaisie qui donne tout son sel à cette promenade picturale. Pour le reste, les éléments d’histoire de l’art sont parfaitement exacts et, concernant Degas, il n’est pas fait l’impasse sur la révolution qu’il amorça avec, entre autres, Monet ou Renoir, en lançant le mouvement des Impressionnistes alors appelés Les Intransigeants. Leur première exposition déchaîna les passions et surtout le rejet de bon nombre d’amateurs d’art. Au fil de l’intrigue, on croise également Cézanne et Paul Valéry, sortes de repères au sein de cette histoire où peu de dates apparaissent, manière de laisser le lecteur naviguer dans ce voyage au cœur de l’art. De plus, le parallèle est brillamment fait entre l’admiration que Degas suscitait à l’époque et ce qu’il a laissé aujourd’hui au monde de la peinture. L’art et l’émergence de nouveaux talents sont au cœur du livre. Avoir confié à Manuele Fior la composition de l’ouvrage est un choix fort judicieux. Remarqué en France grâce à son magnifique Cinq mille kilomètres par seconde (Atrabile, 2010), il démontre une nouvelle fois ici toute l’étendue de sa palette. S’il avait déjà prouvé sa poésie et son sens de la narration, l’auteur italien nous donne à voir un talent graphique époustouflant. Chaque case, chaque page est en soi un tableau que l’on souhaiterait agrandir pour l’encadrer. L’utilisation des couleurs, le rendu un peu flouté qu’on lui connaissait déjà, sont mis au service de cette promenade au cœur du musée et de l’histoire de l’art. Tout comme les collections du musée auxquelles il rend hommage, Manuele Fior est amené à laisser sa marque et son nom dans le monde de la BD contemporaine. Une affirmation qui ne devrait pas varier !