Littérature française

Clara Dupont-Monod

S’adapter

illustration

Chronique de Guillaume Chevalier

Librairie Mot à mot (Fontenay-sous-Bois)

Lorsqu’un enfant handicapé naît, c’est tout l’équilibre familial qui doit se réinventer. De l’aîné fusionnel à la cadette furieuse, Clara Dupont-Monod explore avec sensibilité et émotion cette obligation de s’adapter, de faire avec. Un livre éblouissant sur la connaissance de soi et la solidité des liens fraternels.

Votre nouveau roman, S’adapter, se situe dans les années 1990 et raconte l'arrivée dans une famille d'un enfant handicapé atteint d'une malformation génétique rare. Comment est né ce livre et pourquoi cette thématique ?

Clara Dupont-Monod - C'est en effet l'arrivée d'un enfant handicapé dans une famille mais racontée par la fratrie. L'histoire de ce livre a une base autobiographique. J'ai eu un petit frère qui est né handicapé et qui est mort à l'âge de 10 ans. La joie de l'avoir connu a enfin supplanté le chagrin de l'avoir perdu. À partir de ce moment-là, l'écriture est devenue possible. Je tenais beaucoup à cette histoire de fratrie qui est comme un personnage principal mais qui n’est pas tellement exploitée dans les livres.

 

Parlons-en de la fratrie ! Il y a dans la fratrie l'aîné (le grand frère), la cadette (la grande sœur), l'enfant et, plus tard, nous découvrons qu’il y a le petit dernier. Pouvez-vous nous les présenter ?

C. D. P. - Chacun me permettait d'incarner un sentiment différent. L'aîné porte le thème de l'amour fou, fusionnel et quand l'enfant meurt, il ne s'en remettra pas. La cadette, c'est la colère, elle est furieuse et ça me permet d'aborder le dégoût face à un corps handicapé. Cette vulnérabilité l'effraie et elle le rend responsable de la mise à terre de l'équilibre familial. Le petit dernier, c'est la problématique de l'enfant qui console, puisqu'il arrive une fois que l'enfant handicapé est mort, et en même temps de l'enfant qui est la proie de cette question vertigineuse : « si tu n’étais pas mort, est-ce que moi je serai né ? ». Ces trois personnages tournent autour de l'enfant handicapé et doivent composer avec leur réserve de courage, de souplesse car il faut s'adapter à une situation donnée, faire avec et non faire contre, ce qui est très difficile.

 

Vu la thématique de votre roman, on aurait pu imaginer une ambiance pesante, centrée sur les difficultés de cette famille et ce n’est pas du tout le cas. C’est avant tout un livre tendre, émouvant, éblouissant… C'était voulu ?

C. D. P. - Je ne suis pas du tout dans le côté événement tragique qui a marqué ma vie, qui fait que je suis en mille morceaux. Simplement, comme toutes les épreuves d’une vie, ça m’a construite et l’épreuve n’est pas une maladie honteuse. Lorsque l’on doit s’adapter à une personne inadaptée, lequel des deux est en fait le plus inadapté ? L’aîné dit « inadapté peut-être, mais qui peut nous pousser comme cela dans nos retranchements ? » Le petit dernier estime lui qu’il « n'aurait jamais pensé fermer les yeux pour mieux voir » parce qu’il essaie de faire comme son frère aveugle qu’il n'a pas connu. Il est né avec l’ombre d’un défunt et doit faire avec, car les absents font aussi partie de la famille. Pour la cadette, la colère qu’elle va ressentir va finir par se révéler très constructive. Chacun à sa façon, au contact de cet enfant, va donc se révéler inadapté mais du coup, très équipé.

 

Cette situation va effectivement mener à cette connaissance de soi en les poussant dans leurs retranchements. Ce qui, dans des circonstances plus ordinaires, n’arriverait pas avec une telle intensité.

C. D. P. - Oui. Par exemple, le frère aîné, que l’on peut percevoir comme très nostalgique, se dit qu'il y a une différence entre vivre sans quelqu’un et vivre avec la perte de quelqu’un. Lui décide de vivre avec la perte de son petit frère pour le reste de sa vie. Renoncer à son chagrin, c’est pour lui acter la perte de son petit frère pour toujours et il n’en a tout simplement pas envie. Il reste donc fidèle à son chagrin et qui peut le juger ? C’est une façon de s’adapter. Le chagrin est une forme de lien qui l’apaise.

 

Avez-vous une dernière confidence à faire sur ce texte ?

C. D. P. - Je me souviens d'avoir écrit ce texte dans un état extrêmement intuitif, presque animal, ce qui n'était pas du tout le cas avec mes romans sur Aliénor d’Aquitaine où l’écriture était très cérébrale, très compliquée, où je pouvais passer trois jours sur un paragraphe. Là, j'ai le souvenir d'avoir eu chaud, d’avoir eu froid, d'avoir eu faim, d'avoir eu soif... bref des souvenirs très sensoriels.

 

À propos du livre

Un enfant handicapé naît et la dynamique familiale s’en trouve chamboulée. Le frère aîné s'investit dans la relation jusqu’à la fusion quand la sœur cadette est dans le rejet, le dégoût de ce frère handicapé qu’elle estime responsable d’avoir saccagé sa relation avec l’aîné. Mais le handicap de l’enfant le condamne à une courte vie et, quelque temps après sa mort, vient au monde le petit dernier, enfant consolant et réparateur. Avec subtilité et délicatesse, Clara Dupont-Monod nous parle de la puissance des liens fraternels, de l’ambivalence face à la différence et de l’extraordinaire capacité d’adaptation de l’être humain. Un roman doté d’une rare puissance émotionnelle. Lumineux et magnifique.

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