Littérature française

Katia Belkhodja

Les Déterrées

✒ Anne Canoville

(Librairie L'Astrolabe, Rennes)

Toutes les histoires familiales ne sont pas destinées à être déclinées en saga : ainsi celle de Rym, narratrice de ce roman, se dévoile par touches, comme autant de carreaux d'une mosaïque.

En 1998, Rym et sa mère fuient à leur tour l’Algérie pour le Québec où elles rejoignent oncle, tante et cousines. Trois décennies et quelques concours de poésie plus tard – remportés haut la main –, Rym puise dans sa mémoire pour nous brosser le portrait d’une famille qui a vu son destin scellé par des années de guerre civile et de terreur. Si les plus jeunes ont dû s’arracher à la terre qui les a vus grandir, si un océan les sépare désormais de leurs aînés, ce sont des liens serrés qui unissent cette famille ; des liens faits d’amour, de transmission et de ruptures, enrichis par les singularités de chacun de ses membres auxquels le lecteur va naturellement s’attacher. Les Déterrées n’a rien d’un roman-fleuve mais chacun des courts chapitres aiguise notre curiosité et nous pousse vers le suivant : chaque anecdote choisie, chaque souvenir ravivé confèrent sens et profondeur à une progression non-linéaire. L’immersion naît du talent de l’autrice à raconter les choses, non du seul point de vue de sa narratrice mais aussi par les yeux des autres : ses cousines, sa tante Mouna, son grand-père Asias… Et c’est Rym qui, avec son esprit et son acuité, tisse les mailles du récit et bâtit les ponts qu’elle dynamite de temps à autre : sur la guerre et l’exil, le rapport à l’autre dans un pays d’accueil où le racisme peut parfois se nicher dans les meilleures intentions ; sur les langues et l’apprentissage, la science et la foi, les traditions que l’on conserve et celles qu’on laisse derrière soi ; sur la condition d’enfant, de femme, de mère… Certaines pages sont d’une justesse à couper le souffle et font de ce roman un remède aux préjugés, ainsi qu’une réponse à brandir face à toutes les tentatives d’usurper les mots et la mémoire de celles et ceux qui ont déjà assez souffert.

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