Littérature étrangère
Jenny Erpenbeck
Kairos
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Jenny Erpenbeck
Kairos
Traduit de l’allemand par Rose Labourie
Gallimard
28/08/2025
428 pages, 24 €
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Chronique de
Chloé Pénillault
Librairie Rendez-vous n'importe où (Pontivy) - ❤ Lu et conseillé par 13 libraire(s)
✒ Chloé Pénillault
(Librairie Rendez-vous n'importe où, Pontivy)
Berlin, 1986. Quand Katharina et Hans se croisent, par hasard, dans le bus, ils n‘imaginent pas l’importance de cette rencontre dans leur vie. Kairos a été couronné par le prestigieux International Booker Prize en 2024.
Ce 11 juillet 1986, quand leurs regards s’accrochent, Katharina a 19 ans, Hans 34 de plus. Tout les sépare. Il est marié, écrivain, connu. Il a vécu l’avènement du nazisme, les jeunesses hitlériennes, la guerre, la partition de l’Allemagne, la construction du mur. A choisi l’Allemagne de l’Est par réaction, par conviction. Elle est jeune, gaie, étudiante. Un pur produit de la RDA. Kairos, c’est le dieu grec de l’occasion opportune. Quand il passe, il faut savoir tendre la main et faire le bon geste au bon moment. Répondre à ce croisement de regards, c’est ce qu’il fallait faire à ce moment-là et Hans et Katharina se lancent tous les deux à corps perdus dans une passion clandestine et dévorante. Et très vite déséquilibrée. Hans mène le jeu : il est marié, a une vie sociale importante, un emploi du temps chargé ; il a l’expérience et une certaine aura. Et Katharina se plie bien volontiers à tous ses désirs et ses exigences. Très rapidement, c’est une relation toxique, quasiment malsaine, qui se met en place, une relation de dépendance, de soumission. Hans est rongé par ses obsessions et par une jalousie maladive. Katharina est prête à tout pour faire durer cette histoire, à accepter l’inacceptable pour continuer à exister dans les yeux d’Hans. L’histoire est sans doute universelle. Mais elle est ici profondément ancrée dans le contexte particulier des dernières années du régime est-allemand, dans ce Berlin de la seconde partie des années 1980, quand tout semble encore figé mais qu’on commence à entrevoir des fissures, des craquements, des moments annonciateurs des bouleversements à venir. Jenny Erpenbeck nous donne à voir la décomposition du couple comme un écho à la décomposition politique. Ou l’inverse. Et c’est très réussi, sans grosse ficelle ni manichéisme.