Entre toutes

Marie naît en 1912, juste avant la Grande Guerre. Jusqu’à ses 2 ans, Anna la porte sur son dos pour qu’elle voit le monde d’en haut. Elle en garde le souvenir d’une odeur de foin, celle du chapeau mis pour travailler aux champs, les champs des Vieilles Granges, le territoire familial. Ainsi grandit Marie, dans cette ferme où elle finira sa vie. Ainsi s’écoule le XXe siècle dans la campagne vendéenne. Deux guerres mondiales, la grippe espagnole, le monde qui court après le progrès et la vie saisonnière de ces deux femmes tournées vers l’essentiel. Franck Bouysse peint le portrait de sa grand-mère, fille d’un homme brisé par la Première Guerre mondiale et d’une femme qui voudrait sauver celui qu’elle aime et ne se plaint jamais. Un portrait tendre et délicat que l’auteur a mis du temps à s’autoriser à écrire : « J’ai longtemps hésité avant de me décider à parler d’elle, à témoigner d’une époque que je n’ai pas vécue. » Le romancier se met alors à l’œuvre et, pour notre plus grand plaisir de lecteur, allie avec brio le réel transmis et l’imaginaire qui fait la fiction. En lisant ce récit, on peut se laisser dériver vers les pensées de Jankélévitch : ici transparaît la petitesse de l’Homme et la nécessité d’avancer malgré le chaos ; là surgit la puissance de l’amour, d’un vécu selon l’ordre du cœur, sans fioritures ni démonstrations. Marie avance, nous prend par la main avec douceur et fermeté, travaille sans se plaindre, comme sa mère avant elle, résiste à la noirceur, s’accroche à la beauté du monde, aime Clément, celui qui, tel un ange, chante les soirs de Noël. Elle nous guide vers un besoin d'authenticité qui n’est pas nostalgie. Avec une simplicité trop souvent enfouie de nos jours sous un tas d’occupations inutiles, Franck Bouysse réussit encore ici une fresque poétique et lumineuse.