Jeunesse

Marie Pavlenko

Personne n’a rien vu venir

L'entretien par Aude Marzin

Librairie Plaisir de lire (Plaisir)

Arrivée au début de l’année de terminale, Rita se fait remarquer par ses camarades et professeurs car elle est jolie, vive, intelligente. D’ailleurs Viggo tombe éperdument amoureux d’elle. Ils vont vivre une très belle histoire d’amour, jusqu’au drame, à quelques semaines du bac. Personne n’a rien vu venir et, pourtant, les signes ne manquaient pas.

Comment est née cette histoire ?

Marie Pavlenko - Je ne veux pas la divulgâcher donc je suis contrainte de rester un peu vague mais, il y a six ou sept ans, m'est venue l'idée de cette jeune femme, de sa dégringolade, l'idée d'un amour aussi, celui d'un garçon doux qui ne voit rien venir. Très vite, ce couple fragile et sauvage s'est esquissé. Le sujet, ou du moins l'un des sujets principaux de ce texte, est tabou, complexe et, par-là même, casse-gueule. Je lui ai tourné autour pendant longtemps. Il me fallait trouver la narration juste, la bonne distance, sans pathos. J'ai laissé l'histoire mûrir. Elle s'est nourrie d'événements ahurissants : femmes de ménage harcelées dans les trains, enfants malnutris pendant le confinement, étudiants obligés de faire la queue pour quémander leur pitance. Bien s'alimenter est un droit humain fondamental. Chez nous, en France, la septième puissance économique mondiale, les femmes et les hommes qui demandent de l'aide doivent prouver leur pauvreté, mendier. Ils sont humiliés. D'autres ne peuvent pas recevoir d'aide et leurs enfants ont faim lorsqu'ils vont à l'école. Ça se passe dans notre pays. Cette réalité m'a mise dans une colère noire, colère qui a renforcé le lien se formant dans un coin de ma tête entre Rita et Viggo, entre eux et moi. Elle m'a guidée.

 

Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer en écrivant un roman choral ?

M. P. - Un roman choral, qui plus est écrit à la première personne, est un jeu d'équilibre : chaque personnage doit bien entendu avoir sa personnalité propre mais aussi sa voix, c’est-à-dire son langage, son phrasé, ses obsessions. Cependant, cette structure narrative a surtout représenté des atouts, je crois : le roman respecte la chronologie d'une année scolaire mais j'ai quand même eu la possibilité de bâtir une architecture en forme de toile d'araignée (les personnages révèlent des informations les uns sur les autres, on attrape des détails et, dès lors, le lecteur reconstitue l'image, le déroulé des événements). Et puis, la multiplicité des voix me permettait d'alterner des personnages loufoques, très drôles, avec des parties plus poétiques ou plus graves. Je retrouvais ainsi la sinusoïde si chère à mon cœur.

 

Les personnages d’adolescents représentent parfaitement les nouvelles générations. Comment réussissez-vous à être aussi proche de leurs réalités ?

M. P. - Je ne pense pas que l'adolescence ait tant changé. L'emballage est différent, certes, il y a les réseaux sociaux, l'image toute-puissante mais le petit cœur d'artichaut qui cherche l'amour, qui vit et enchaîne dans un bouleversement total ses premières fois, reste le même. L'adolescence demeure cet âge abominable et fabuleux où l'on n'est plus un enfant mais on ne sait pas encore quel adulte on sera. Les ados marchent sur des plaques mouvantes, balisées de moments intenses et époustouflants, mais toujours sur une crête en bordure de l'abîme. J'ai vécu tout ça.

 

Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul personnage adulte dans votre roman ?

M. P. - Rita raconte la faillite de la société à protéger ses enfants. Monsieur Hems souligne ce propos, il incarne l'adulte abasourdi. Il est passé à côté. Je voulais rester avec ce groupe d'amis, j'avais besoin de leur naïveté, de leur verve. Pour être vraie mais aussi pour dire le lien, le groupe, l'île. L'adolescence est le moment où l'on coupe avec les adultes autour de soi ou, en tout cas, on en prend le chemin, on essaie, on ment, on resquille, on se serre les coudes, sur un socle commun que l'on érige ensemble. Les adultes ont perdu leur place dans cette histoire.

 

Vous débutez le récit plusieurs mois après le drame. Pourquoi ce choix narratif ?

M. P. - Je fais intervenir une personne hors champ, à qui les personnages se confient. J'avais besoin que le drame soit raconté au passé, parce que le principe du roman choral où chacun dit « je » a déjà été écrit brillamment de nombreuses fois. Or je souhaitais que la multiplicité des « je » ne soit pas un artifice, qu'elle ait un sens et s'inscrive aussi dans un présent. Les personnages avaient besoin de recul aussi, leur prise de parole intervient six ou sept mois après : c'est encore très frais, traumatique et, en même temps, ils ne sont plus dans le cuisant de la gifle. Ils ont commencé à réfléchir, analyser, cicatriser. Ce recul laisse place à beaucoup d'humour et le rire est indispensable dans ce genre de romans : il dit la vie, le souffle. Le rire permet de traverser les cauchemars les plus sombres.

 

 

À propos du livre

Rita est une jeune fille solaire qui entre en terminale dans ce nouveau lycée car elle a été harcelée dans son précédent établissement. Elle est intelligente, vive, magnétique. La bande de copains de terminale ne s’y trompe pas et l’intègre très rapidement. Seulement un drame va arriver à Rita juste après les vacances de Pâques et plus rien ne sera comme avant. Le roman commence presque un an après les faits et chaque ami de la bande va raconter comment tout est arrivé et, surtout, comment personne n’a rien vu venir alors que les signes avant-coureurs étaient nombreux. Car même les professeurs et encadrants n’ont rien anticipé. Glaçant et touchant.