Bande dessinée

Mansoureh Kamari

Ces lignes qui tracent mon corps

MA

✒ Mehdi Ain-Bouzid

(Librairie L'Alternative, Neuilly-Plaisance)

Sous le glissement d'un trait animé par la passion du corps et du mouvement, Mansoureh Kamari, dessinatrice d'origine iranienne, nous livre un récit intime qui trace les lignes de son corps et de son histoire, celle d'une enfant, d'une adolescente et d'une femme dans un pays liberticide et féminicide.

La courbe d'un sein, la cambrure d'une hanche, une main délicatement posée, des pieds resserrés, un visage dont le regard se perd dans le lointain : les morceaux d'un puzzle se rassemblent bientôt pour former l'image d'un corps allongé, presque languissant, entouré de regards et de fusains qui grattent doucement le papier. C'est sur ce joli paradoxe que s'ouvrent Ces lignes qui tracent mon corps. Dans cette exploration d’un modèle vivant, l'autrice n'est pas l'observatrice, elle est le sujet. Comme un exorcisme de ce regard si souvent imposé, de ce jugement subi à contrecœur, Mansoureh s'approprie les yeux qui se posent sur ce corps féminin qu'on lui a si souvent reproché. Elle s'expose, se met à nu et, dans une jolie métaphore, se dévoile au lecteur dans cet espace liminal où son esprit se retire dans les stigmates du passé, toujours présents sous la surface. Comme une danse immobile, entre ces poses aux mouvements figés, rejaillissent les souvenirs, les traumas et l'horreur, mais aussi le chemin parcouru. Ces lignes qui tracent mon corps est un roman graphique aussi beau que terrifiant. À travers le témoignage de l'autrice se révèle une enfance vécue dans la peur et la culpabilisation d'une doctrine écrasante. De l'insouciance infantile aux libertés fauchées par les changements de l'adolescence, l'histoire de Mansoureh révèle un pays gangrené par une misogynie systémique teintée d'hypocrisie. Les violences et les agressions physiques et mentales se multiplient, mais seules les victimes sont coupables. Ne pas chanter, ne pas danser, ne pas rire, ne pas aimer, sous peine de punition, pour le seul crime de la féminité. Ainsi accompagne-t-on Mansoureh dans sa découverte secrète du plaisir, de la sexualité, de l'art, de la liberté, mais aussi de la peur et de la honte qui la hantent encore aujourd'hui. Un récit sublimé par un trait époustouflant qui dessine les corps comme on sculpte une statue. Chaque mouvement, chaque muscle, chaque regard est porté par une finesse de dessin qui trahit de la meilleur manière possible le parcours d'animatrice de l'autrice. De la tragédie de son histoire à la beauté de son œuvre, Mansoureh Kamari nous emporte dans une alternance de noir et blanc et de couleurs mates qui nous transporte de ses blessures anciennes à ses défis d'aujourd'hui. Et pourtant reste cet orgueil sain, ce petit pic d'ego qui l'agace lorsqu'on la félicite pour son courage : Mansoureh Kamari n'est pas qu'une survivante ou une réfugiée, elle est simplement une artiste.

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