Littérature française

Lolita Sene

Une histoire de famille

L'entretien par Delphine Bouillo

Librairie M'Lire (Laval)

Un été chez Jida est l'histoire d'une enfance au sein d'une famille kabyle où se jouent des drames qu'on ne voit pas ou qu'on ne veut pas voir. Un été chez Jida est l'histoire d'une enfant qui, devenue adulte, a su dire non. Un été chez Jida est le portrait d'une famille où pèse le poids de l'Histoire.

Pouvez-vous nous présenter cette famille et nous présenter Esther ?

Lolita Sene - Un été chez Jida est pour moi l'histoire de la douleur, de la violence et du silence au sein de cette famille kabyle. On suit trois générations : Esther, l’enfant, Leïla, sa mère, et la grand-mère, Jida. Esther est une enfant qui court, s'amuse au sein de cette très grande famille. Elle vit sous la coupe de sa grand-mère, une femme très silencieuse, un sorte de matriarche qui vit dans ses traditions, dans cette culture kabyle pleine de couleurs, d'odeurs, de parfums, de fêtes et d’un peu de sorcellerie aussi. C'est cela son enfance chez Jida.

 

Jida et Esther ont une relation très paradoxale qui résume les relations entre les femmes de cette famille.

L. S. - Les femmes kabyles portent ce silence et cette violence en elles. Tout est fait dans l'arrière-pièce de la maison en quelque sorte. Esther ressent l'émotion de sa mère et de sa grand-mère face à ce qui ne doit pas être dit. Elle n'ose pas encore, au début du livre, faire entendre sa voix. Elle essaie plutôt de comprendre pourquoi cela se passe ainsi, pourquoi les garçons sont préférés et les filles mises de côté. Sur son parcours, elle veut dire son secret mais cette famille ne veut pas l'entendre et continue, année après année, à faire taire les secrets.

 

Le secret d'Esther la prive de liberté. Se taire la rend-elle vulnérable ou au contraire la protège-t-elle de cette famille ?

L. S. - Il faut comprendre que cette famille arrive d'Algérie suite à la guerre. Ses membres ne sont pas arabes et ne parlent pas arabe. Ils ne sont pas français mais harkis. Ils n'arrivent pas à trouver leur place et donc le mot liberté est difficile à concevoir pour eux. Leïla l'impose à sa famille mais reste sous le regard de sa propre mère Jida. Esther suit exactement le même chemin pour se protéger. Mais ce ne sera que suite à des violences entre les deux femmes qu'elle réussira à s'échapper.

 

La violence est particulièrement présente entre ces femmes.

L. S. - Les femmes sont toujours ensemble. Dans cette grande famille, il y a souvent des anniversaires, l'Aïd, la cérémonie du henné et, en même temps, il y a cette violence très très forte entre les femmes, à travers un regard, un pincement sur le bras, un seul mot ou alors, de manière presque comique, elles se mettent des claques ou se roulent par terre. Cette violence entre elles est comme si elles devaient se taire face aux choses qu'elles n'arrivent pas à verbaliser, parce qu'on protège l'homme dans tous les cas. Que ce soit le père, donc le grand-père d'Esther, ou leurs frères. Elles les protègent contre vents et marées. La violence qu'elles contiennent et subissent, elles se la projettent entre elles.

 

Malgré cette violence qui vous touche, votre écriture est très douce.

L. S. - C'est un roman que je voulais écrire depuis de nombreuses années. Il a fallu que le temps passe et que je m'apaise pour pouvoir coucher sur le papier cette histoire d'une manière où je ne prends pas le lecteur par surprise. Je sais que parfois je me sens très gênée de voir des films ou lire des choses dont je n'avais pas forcément envie. J'ai préféré écrire cette violence avec beaucoup, beaucoup de douceur.

 

Esther est une petite fille qui passe ses vacances chez sa grand-mère Jida. Sa grand-mère incarne la culture kabyle et fascine Esther. En matriarche, elle règne sur cette grande famille où les secrets et le poids de l'Histoire gangrènent chacun de ses membres et particulièrement les femmes. Esther a subi des violences de la part de son oncle Ziri, fils préféré de Jida, et jamais personne n'a voulu entendre son secret. Cette violence aurait pu la faire taire à jamais mais devenue adulte, Esther a su dire non et défier l'héritage familial qu'on lui imposait. Lolita Sene raconte avec beaucoup de pudeur et de douceur la violence subie par cette enfant et l'obstination poignante d'une femme à faire entendre sa voix.