Elsie A.

Elsie A., jeune épousée, débarque en Amérique du Sud à la recherche de son mari, aventurier obsédé par les civilisations précolombiennes. Ce dernier a en effet laissé la jeune femme sans aucunes nouvelles depuis des mois. La voilà donc débarquant, mal préparée et apeurée, au milieu d’un enfer vert qu’elle ne maîtrise que très peu, même si la jeune femme avait régulièrement aidé son mari dans ses travaux. Mais si la forêt amazonienne semble hostile, elle paraît presque accueillante aux regards des hommes dits « civilisés » qui l’accueillent. Entre le prêtre débonnaire et lâche, et le colon bellâtre qui tentera de l’agresser quand elle lui demandera son aide, Elsie va vite comprendre que c’est plutôt vers les « sauvages », les Amérindiens qui campent aux abords du couvent, qu’elle devra se tourner pour retrouver son mari. Aidée par l’un deux, Amaru, qui tente de son côté de sauver sa fille enfermée dans l’abbaye du bon prêtre, elle va fuir la soi-disant civilisation pour s’enfoncer dans la jungle impénétrable. Au cours de son périple, des flashs de sa vie avec son mari ponctuent le récit, ainsi que l’apparition d’une étrange créature sombre aux bois de cerfs qui semble la suivre partout où elle se rend. Nouvelle collaboration du duo Cyril Pedrosa et Roxane Moreil après L’Âge d’or, Elsie A. est un récit onirique captivant. Une fois encore, on retrouve le portrait d’une femme complexe et une charge sans concessions contre les abus des dominants sur les dominés. Elsie est une femme en révolte, obsédée par sa quête insensée. Mais c’est aussi une Occidentale qui impose comme les autres colons sa vision des choses aux Indiens. Amaru, quant à lui, est enfermé dans sa propre quête, s’accrochant au maigre espoir de sortir sa fille de sa catatonie et ne sait pas comment se conduire face à cette étrange femme blanche. Ensemble, ils forment un duo mal assorti mais aussi une sorte de réponse à leurs propres failles. Ce récit qui mêle habilement flash-back, quête onirique et réalité est sublimé par la mise en image exceptionnelle et d’une rare intensité de Karine Bernadou. Sous son pinceau et ses couleurs, la jungle et les esprits prennent vie le long du fleuve amazone, sinueux et étrange, comme un écho tourmenté de la psyché d’Elsie. C’est avec fascination qu’on se laisse entraîner dans son sillage, entre rêve et réalité, dans ce magnifique conte vénéneux et hypnotique.