Littérature française

Philippe Claudel

Crépuscule

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Chronique de Valeria Gonzalez y Reyero

Librairie Jeanne Laffitte (Marseille)

Philippe Claudel incendie la scène de la rentrée littéraire d’hiver avec un roman noir dont il connaît si bien la formule, à mi-chemin entre le conte historique et la parabole sombre sur les tourments de la condition humaine.

Dès les premières pages, on reconnaît le style. On flaire la noirceur, la pesanteur et la puanteur d’un monde triste qui ne tourne pas rond. Ce sont les éléments incontestables des romans de Philippe Claudel qui nous avait émus autant que tenus en haleine avec Les Âmes grises, Le Rapport de Brodeck ou plus récemment L’Archipel du chien (disponibles au Livre de Poche). Pour son dernier roman, Claudel rattrape l’histoire de la fin des grands Empires et situe son roman dans une bourgade éloignée et fouettée par l’hiver, aux frontières de la Mitteleuropa. Un crime vient ébranler la vie monotone de la communauté : le curé est trouvé mort, la tête fracassée à coup de pierre. Le capitaine Nourio est chargé de l’enquête. Mais les indices sont rares et pour un homme comme le policier, égocentrique et pris par ses passions qu’il arrive à peine à contrôler, les résultats s’embourbent comme neige fondue. Mais si le coupable n’est pas démasqué, il est pourtant facile et aisé d’en fabriquer un. Il paraît que l’Empire en tirerait même profit. Les tensions montent entre les communautés religieuses de la petite ville et le bouc émissaire est désigné, embrasant la bourgade entière et ouvrant les portes à un jeu politique bien plus ample. Voilà la grande maîtrise de l’art romanesque de Philippe Claudel : utiliser une intrigue policière pour tenir le lecteur en haleine et en même temps peindre une grande fresque historique qui révèle tant les paradoxes que les bassesses de la condition humaine. Car la question fondamentale qui se pose à travers ce conte noir à l’air intemporel est la suivante : qui écrit l’Histoire ? Et comment ? Les puissants peuvent-ils décider de forger une vérité efficiente pour servir leurs intérêts politiques ? Dans une langue de conteur qui regorge et frémit d’un vocabulaire châtié, Claudel nous entraîne encore une fois dans un roman au goût de fiel mais dont on n’arrive pas à se détourner. Car c’est en affrontant la noirceur que l’humanité sortira – ou pas ? – du crépuscule.