Essais

Marcus Rediker

À bord du négrier

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photo libraire

Chronique de Charlène Busalli

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Marcus Rediker retrace l’histoire de la traite atlantique à travers l’un de ses aspects les plus emblématiques : le navire négrier. Une plongée dans ce qu’un capitaine appela avec force cynisme son « enfer privé ».

La couverture est frappante : les plans d’un navire négrier, le Brooks, avec à son bord 482 esclaves collés les uns contre les autres. L’image devient d’autant plus choquante lorsqu’on apprend que la « cargaison » a pu parfois atteindre le chiffre de 600 esclaves. On ne s’étonne guère que les dessins reproduits dans ces pages furent ceux retenus par les abolitionnistes de la fin du xviiie siècle pour dévoiler au public la cruauté de la traite. C’est avant tout à partir des témoignages de ceux qui ont navigué sur ce genre d’enclave infernale, que Marcus Rediker choisit de raconter la traite atlantique. L’auteur s’appuie sur un travail de recherche important afin de faire ressurgir, à travers quantité de témoignages, les voix de ceux qui ont vécu cet enfer. Celles des esclaves d’abord, avec entre autres le récit d’Olaudah Equiano, premier esclave à avoir écrit sur son expérience du « Passage du Milieu », le surnom donné à la traversée de l’Atlantique. Ensuite celles des marins, bien souvent presque autant maltraités que les esclaves, ce qui ne les empêchait pas de participer, de gré ou de force, à ce commerce inhumain. Enfin les voix des capitaines, repentis ou non, de ces horribles navires, donnent une vision particulièrement effrayante de l’inhumanité qui présidait à la traversée. Marcus Rediker ne se contente pas de décrire les horreurs qui faisaient partie du quotidien des captifs et de l’équipage : la torture, le viol, le meurtre, en un mot la terreur, dont même les requins qui suivaient les navires étaient un instrument. L’auteur raconte aussi la solidarité et l’esprit de résistance qui se développaient dans le cœur des esclaves au long du voyage, lequel n’était souvent qu’un prélude à leur futur calvaire dans les plantations du continent américain. On mesure alors toute l’importance de ce symbole, ce « navire fantôme à la dérive sur les eaux de la conscience moderne ».

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