Beaux livres

David Campany

Road Trips

  • David Campany
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Mathieussent
    Textuel
    22/10/2014
    336 p., 69 €
  • Chronique de Nicolas Fargette
    Librairie L'Ouvre-Boîte (PARIS)
  • Lu & conseillé par
    10 libraire(s)
illustration
photo libraire

Chronique de Nicolas Fargette

Librairie L'Ouvre-Boîte (PARIS)

Qu’est-ce que l’Amérique ? Nous en avons tous des visions différentes. L’Amérique et ses rêves, l’Amérique et ses désillusions. Mais que serait notre perception de cet immense territoire sans le regard des photographes ? En voici quelques exemples, choisis parmi les livres parus en cette fin d’année 2014.

La photographie de rue, ou Street Photography, est une écriture à part entière. Les États-Unis ont vu naître bon nombre de grands photographes arpentant les rues, armés de leur appareil photo et surtout d’un regard singulier. Deux livres viennent de paraître sur le sujet, liés à des expositions : Garry Winogrand aux éditions Flammarion (en coédition avec le Jeu de Paume) et Aaron Siskind, une autre réalité photographique aux éditions Hazan. Aaron Siskind est de ces photographes dont on parle peu en France. Il fut pourtant l’une des figures majeures de la photographie documentaire au sein du collectif Photo League, ouvertement engagé et critique – ce dernier réunissait des photographes professionnels ou amateurs dans le but de donner une autre vision de l’Amérique ; il sera dissout en 1951 sous le maccarthysme. En 1940, on exposera l’un des projets les plus marquants de la Photo League sur la communauté noire américaine de New York, documenté par Aaron Siskind et appelé le Harlem Project. Puis vint la période dite de la photographie abstraite, où Siskind développa un style plus pictural, un regard plus radical. Le livre de Gilles Mora montre à quel point ses expérimentations, d’une rigueur et d’une beauté incroyables, ont marqué une époque, et ce malgré le mauvais accueil d’un tel revirement artistique – ce qui amènera Siskind à intégrer (poussé par le photographe Harry Callahan) l’Institute of Design de Chicago fondé par Moholy-Nagy, où il enseignera jusqu’en 1971. Évoquer la photographie de rue américaine est également l’occasion de citer le très beau catalogue de Garry Winogrand, en lien avec l’exposition qui se tient cet automne au musée du Jeu de Paume, à Paris. L’ouvrage, richement illustré, rassemble des photographies tantôt emblématiques, tantôt inconnues et récemment découvertes dans les archives du photographe. La force de Winogrand est peut-être de nous amener à regarder ce qui ne nous aurait pas spontanément frappés, de nous apprendre à voir autrement. Faire que le banal devienne exceptionnel. De plus, le livre est magnifiquement imprimé, accompagné de textes de différents auteurs, ce qui permet de saisir qui était Garry Winogrand, de comprendre aussi pourquoi il restera l’un des plus grands parmi les grands ! « La voiture est le marché le plus gigantesque que la race humaine ait jamais créé pour appâter, séduire et extorquer de l’argent à la race humaine. » Cette phrase est citée par David Campany dans l’excellent livre Road Trips, qui vient de paraître chez Textuel. Elle est tirée d’un article rédigé par James Agee dans les années 1930. Et pourtant, cet objet indissociable de la culture américaine fut le fidèle destrier de plus d’un grand photographe lors de road trips devenus incontournables. Au total, ce sont dix-neuf photographes qui sont représentés dans le livre Road Trips : de Robert Frank, qui marqua l’histoire de la photographie avec sa série The Americans, à Ed Ruscha, qui s’intéressa aux infrastructures modifiant les paysages (stations-service, motels…), puis de l’arrivée de la couleur et des jeunes photographes des années 1970 (Eggleston, Shore, Sternfeld, etc.), jusqu’à nos jours, avec les superbes photographies d’Alec Soth, Todd Hido ou encore Ryan McGinley. Ce livre est une vraie merveille, un voyage à travers un pays qui n’a de cesse de fasciner par sa capacité à produire le pire comme le meilleur. Un essai très documenté ouvre la réflexion sur la façon dont l’Amérique appréhende son territoire et les modifications engendrées par une industrie dévorante. L’ouvrage montre également comment des photographes continuent de raconter ce pays gigantesque et ses évolutions en parcourant ses routes. À noter également, la sortie du livre accompagnant l’exposition Madrilène sur Stephen Shore, première monographie retraçant la carrière de ce photographe qui fut l’un des premiers à être exposé au MoMA à moins de 30 ans. Le livre reprend les séries emblématiques de son travail jusqu’à des projets plus récents. L’occasion de mesurer l’évolution d’un artiste incontournable. Changement de décors et d’époque ! Hollywood, années 1940. L’auteur et collectionneur David Willis nous ouvre ses archives de photographies de stars hollywoodiennes. Au total, ce sont plus de 250 clichés, pour la plupart rares ou inédits, tirés de pellicules Kodachrome. C’est à ces films que l’on doit ce rendu aux couleurs éclatantes, brillantes, presque surnaturelles, propres aux photographies de l’époque et qui fait tout le charme de ce livre. L’auteur évoque l’histoire de cette pellicule légendaire : de l’utilisation de l’image des stars en pleine guerre mondiale, à la promotion de l’usine à rêve qu’étaient alors les studios de cinéma. Avec Hollywood en Kodachrome paru aux éditions La Martinière, certains verront du glamour, d’autres du kitch… mais une chose est sûre : il vaut qu’on s’y arrête !