Polar

George Pelecanos

Le Double Portrait

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photo libraire

Chronique de Gwendoline Touchard

Bibliothèque/Médiathèque Trapèze (Boulogne-Billancourt)

Après le très réussi Une balade dans la nuit, publié chez Calmann-Lévy, le personnage de Spero Lucas est de nouveau au centre du Double Portrait. George Pelecanos délaisse les one-shot et revient à la série, exercice qu’il a beaucoup pratiqué ; avec talent, il faut bien le reconnaître ! Un nouveau Pelecanos est toujours un événement, c’est toujours aussi un tour de force.

Spero Lucas, ex-marine gréco-américain et vétéran de la guerre d’Irak, rentre à Washington et devient détective privé. Il est sur une double affaire : un avocat l’a engagé pour éclaircir une affaire de meurtre, et une femme le paye pour retrouver un tableau volé, le Double Portrait du titre. Il croisera sur son chemin une femme fatale qui lui fera tourner la tête, une brute épaisse et des vétérans de la guerre d’Irak. L’intrigue des livres de Pelecanos tient souvent en quelques lignes. Pelecanos est d’une telle précision que nous pouvons suivre aisément le parcours des personnages et des endroits qu’ils fréquentent. C’est ici une Washington ni blanche, ni noire, ni immigrée mais pourtant tout cela à la fois, melting-pot incroyable qui s’est construit sur la violence, la pauvreté et le rejet. En cela, Spero est un pur produit de cette ville : ni Blanc, ni Noir, ni immigré, on sait de lui qu’il a été adopté et qu’il entretient des liens très forts avec sa famille – ce qui rend le personnage paradoxal. Lucas est un loup solitaire qui a réussi à dépasser le stade post-traumatique du retour de la guerre, guerre qui reste secrète, en toile de fond, invisible mais bien présente. Ses anciens démons le détruisent, ils font aussi sa force, créant chez lui une profonde empathie malgré son instinct de tueur. Il est d’autant plus un survivant que la plupart de ses anciens camarades se sont suicidés ou ne sont que l’ombre d’eux-mêmes, estropiés physiques et mentaux à la réinsertion quasiment impossible. Spero lui-même n’est pas dans une logique de réinsertion. Il travaille en solitaire, avec ses propres codes, ses propres règles, recourant à des techniques discutables. Il est un soldat en marge qui n’a pas tout à fait quitté la guerre, un besoin d’adrénaline quotidienne étant indispensable à son équilibre mental. Avec un personnage comme Spero, Pelecanos reste dans sa logique d’écrivain de la rue. Il livre un récit brut, aux dialogues pleins de répartie et un sens du détail qui relève presque de l’approche journalistique. Les anecdotes sont souvent un prétexte pour donner une ampleur sociale très forte à ses romans. La musique est également très présente et fournit une forte personnalité aux personnages. La musique suit la même logique que Washington, mixte et cohérente, allant du reggae au black métal en passant par l’électro rock, autant d’indices de la condition de chacun. Seul regret : le manque de playlist à la fin. Reste à espérer que le roman soit un jour adapté. Rythmé par des chapitres courts et la musique, les images foisonnent. Pelecanos a d’ailleurs du métier dans ce domaine : c’est lui qui a travaillé à l’écriture du scénario de la série The Wire, considérée comme l’une des meilleures séries policières.

Écoutez George Pelecanos dans l’émission Le Rendez-vous du 2 avril 2014 sur France Culture :
www.franceculture.fr/emission-le-rendez-vous-le-rdv-020414-avec-george-pelecanos-robin-campillo-la-chronique-de-jm-lalann

 

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George Pelecanos à Quais du Polar avec son éditeur Robert Pépin

 

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Séance de dédicaces à Quais du Polar