Littérature étrangère

Louise Erdrich

Dans le silence du vent

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photo libraire

Chronique de Wilfrid Sejeau

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Dans son nouveau roman, Louise Erdrich se glisse de façon très convaincante dans la peau d’un jeune Amérindien lancé sur la piste d’un criminel. Il est à la recherche de la vérité et de la justice, en même temps qu’il fait le douloureux apprentissage de la vie d’adulte.

Joe a 13 ans, il vit au Dakota du Nord dans une réserve. Son père est juge, sa mère travailleuse sociale. Il mène la vie normale d’un adolescent d’origine amérindienne qui, tout en participant aux activités des jeunes de son âge, s’initie à ses racines et découvre le patrimoine culturel de sa communauté. Il grandit dans une famille aimante, entre un père qui lui transmet l’histoire et les traditions indiennes, une mère tendre et attentive, un grand-père centenaire encore très vert qui raconte des légendes traditionnelles dans son sommeil et Sonja, la femme du pompiste, qui ne cesse d’éveiller en lui de sensuels émois. Avec ses trois amis, il forme une bande inséparable, soudée par une amitié et une loyauté indéfectibles, mais qui a tendance à s’intéresser de trop près au whisky et aux filles. Tout bascule un soir où sa mère ne rentre pas à la maison. Pour Joe comme pour sa famille, rien ne sera plus comme avant, car Géraldine, sa mère, a été agressée et violée. Elle ne doit sa survie qu’à une fuite inespérée. Longtemps, elle demeure prostrée, comme absente à la vie, incapable de désigner son agresseur. Dès lors, Joe et son père n’auront plus d’autre préoccupation que de réclamer justice et de démêler les fils de cette agression qui met à nu d’inavouables secrets liés au silence de leur épouse et mère. Mais la justice humaine est bien imparfaite…Avec un art consommé de la construction narrative, Louise Erdrich associe les éléments du roman noir et du récit d’initiation. Afin de faire face au traumatisme vécu par sa mère, soutenir son père, dont il découvre en cette occasion les limites et les insuffisances de l’idée qu’il se fait de la justice, et retrouver la piste de l’agresseur, Joe va devoir grandir vite, très vite. Aidé par ses amis, il plonge dans les histoires de sa famille, dans les conflits et rancunes qui ont marqué la réserve et, surtout, dans la longue histoire de la spoliation des droits et du patrimoine des Amérindiens. Dans le silence du vent permet une nouvelle fois à l’auteure chippewa de mettre en lumière les injustices dont sont victimes les premiers habitants des Amériques, et en premier lieu les femmes. Dans sa postface, elle rappelle qu’une Amérindienne sur trois connaît un viol ou des violences sexuelles au cours de sa vie. Ces agressions ne donnent lieu, la plupart du temps, à aucune condamnation. Aux États-Unis, les notions d’égalité et d’État de droit restent relatives. Toutefois, Louise Erdrich prend garde de ne jamais basculer dans le roman à thèse : le livre est porté par un souffle vital, un humour décapant qu’illustrent les nombreuses scènes cocasses et pleines d’humanité qui font pénétrer le lecteur au cœur de cette réserve du Dakota. Difficile d’oublier la description d’une fabuleuse course-poursuite entre le curé de la paroisse, le père Travis, un ancien marine plutôt en forme et le jeune Amérindien Cappy venu à confesse révéler des pêchés par trop indicibles.