Littérature française

Julia Kerninon

Toucher la terre ferme

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Chronique de Marion Libouban

Librairie du Contretemps (Bègles)

Forte de ses précédents textes à l’écriture habitée, Julia Kerninon fait son retour avec un récit d’une humanité sans fard. Elle témoigne de son expérience intime et vient percuter ses lecteurs et lectrices en tentant de répondre à la question de savoir ce que grandir, devenir et construire veut dire.

En démarrant la lecture, une crainte : un récit à la première personne, sur le devenir-femme, sur la maternité. Peur des poncifs et du déjà-vu. Mais quand c’est Julia Kerninon qui vous parle, ce n’est jamais vain. L’auteure nous narre un épisode de sa vie où elle a senti la bascule et s'est posé la question : que faire de moi ? Elle a 30 ans passés, un mari aimant, deux enfants, un métier d’écrivaine qui l’anime et, pourtant, elle ne sait que faire de toutes ces informations. Le récit démarre par une phrase qui donne le ton : « J’étais à bout de force et je ne le savais pas. ». Quand tout change, comment ne pas se perdre ? Comment se trouver ? Comment avoir la certitude de ce qu’on va trouver ? L’auteure décroche chaque pan de sa vie et l’expose à vue. Elle ne semble effectivement pas savoir ce qu’elle va trouver en démarrant cet autoportrait mais peu lui importe. Elle se fait confiance et fait confiance à son public. Elle narre ses amours passées, celles qui l’ont construite, ses fuites en avant et ses recroquevillements, ses absences et ses excès, le tout avec des phrases courtes, percutantes qui rappellent le rythme de son premier roman, Buvard (Le Rouergue et Babel), éclair de génie qui livre le portrait d’une femme qui n’a plus le temps d’être autre chose qu’elle-même. On pourrait croire que ce texte est celui d’une femme qui ne s'adresse qu'aux femmes mais c’est faux. Elle s’adresse à qui veut bien la lire et qui, comme elle, cherche à mettre des mots sur ce que signifie devenir. Ici, devenir signifie changer. Mais changer ne signifie pas oublier qui on a été. Peut-être ce texte est-il un bilan, il semble plutôt qu’il s’agit d’un commencement. La preuve par les mots avec cet extrait :  « Qui parle de victoire ? Surmonter est tout. Je me retrouve dans mes excès, dans mes ambitions littéraires, dans mes pensées coupables, dans tout ce qui chez moi n’est pas une mère (...). J’aime savoir qui j’étais, que je suis cette fille-là. Je crois parfois que cette moi-là a des choses à apprendre à quelqu’un, davantage que celle qui écrit. » Ce n'est jamais voyeur et surtout jamais hors de propos. Simplement, n'attendant rien en retour sinon une âme attentive qui voudra la lire, Julia Kerninon se confie comme une anonyme rencontrée sur un coin de table entre deux volutes de fumée et fait à l'amour une place de choix dans son récit : de l'autre, de soi, comme réponse aux folies du temps qui font parfois oublier la terre ferme.