Littérature étrangère

Benny Barbash

Monsieur Sapiro

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photo libraire

Chronique de Mélanie Le Loupp

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« L’homme mène une existence double, mais il suffit d’une seule mort pour anéantir d’un coup ses deux vies ». Monsieur Sapiro est un roman bien étrange qui ne cesse d’habiter le lecteur une fois terminé. Faisant fi des thèmes et du style qu’on lui connaissait, Benny Barbash offre un récit tour à tour fascinant et déconcertant.

Mais qui est ce Monsieur Sapiro ? Qui est cet homme assis à détailler une serveuse ? Qu’est-ce qui relie au juste Sapiro et l’homme assis ? C’est sur une nuée de questions que débute la lecture de Monsieur Sapiro. Un homme est assis dans un lobby, un bar d’hôtel, il lit Martin Gardner, il regarde la serveuse qui appelle un certain Sapiro à venir prendre la communication qui l’attend dans le hall de l’hôtel. C’est sur ces entrefaites que commence le roman. Puis, le lecteur plonge dans l’abîme des réflexions du personnage assis et qui s’appelle Miki… à moins qu’il ne soit Monsieur Sapiro. À moins qu’il ne soit les deux, voire même ni l’un ni l’autre. Le fil du récit ne s’éclaircit que trop peu pour laisser le lecteur dans un abysse. Mais quel plaisir d’être confronté à un récit digne des meilleurs films de David Lynch ! C’est ainsi qu’on déambule dans un labyrinthe de vies parallèles et ordinairement basses. L’auteur décrit, à la manière de Kundera, Miki qui travaille dans une agence de publicité et qui est marié depuis de trop longues années à Liat, devenue professeur d’art. L’un et l’autre s’ennuient ferme dans leur vie commune trop routinière et de laquelle la passion et l’amour ont fui depuis bien trop longtemps, bien avant que Liat ne se fasse enlever un sein cancéreux. Sapiro, lui, est un faussaire. Il a pris pour maîtresse Liora, une femme mariée avec Adam qui est sur le point de mourir. Ce qui semblerait un récit simple et sans grand intérêt ne l’est pas car Benny Barbash trompe son lecteur et s’en joue avec brio. Effectivement, Miki et Sapiro ont en fait échangé leurs vies. On découvre donc, à travers les yeux de Miki, la nouvelle vie des deux hommes. Un jeu de miroir, de faux-semblants, de tromperies et de duplicité entraîne alors le lecteur très loin. Que ferait-on si on avait la possibilité d’une autre vie ? Une seconde chance nous permettrait-elle d’être vraiment heureux et de rendre heureux ceux qui nous entourent ? C’est avec beaucoup d’esprit que Benny Barbash nous perd dans les méandres de l’âme humaine et surtout, c’est avec beaucoup de cynisme qu’il nous prouve à quel point l’homme peut être misérable. « Mais qu’est-ce que c’est que ce bazar ? », se demande Miki lorsqu’il prend conscience de sa nouvelle identité. Le lecteur est complètement déstabilisé par la narration déroutante de Benny Barbash. Pourtant on réussit bel et bien à être pris au jeu et à suivre les pérégrinations et la résurrection de Miki et de son double Sapiro. En quelques pirouettes littéraires, l’auteur nous apprend aussi à douter du créateur d’une œuvre lorsqu’il fait parler Sapiro : « il faut se méfier d’un tableau à l’histoire trop parfaite ». Ainsi, Benny Barbash réussit à la perfection à déjouer tous les fils narratifs classiques et on se prend à espérer qu’il poursuivra dans ce style de roman si déroutant et passionnant à la fois !