Littérature française

Makenzy Orcel

Les Immortelles

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photo libraire

Chronique de Mélanie Le Loupp

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Il est difficile de trouver les mots justes, en général. À plus forte raison pour évoquer un drame dont on a été l’un des acteurs. Existe-t-il des mots dont le poids est suffisant pour traduire l’expérience en parole ?

Les Immortelles, ce sont les prostituées qui parcourent les rues déglinguées de Port-au-Prince en se servant de leur corps comme d’un outil ou d’une arme afin de se nourrir, de boire, de vivre. Les Immortelles, ce sont les femmes qui voient tout, vivent beaucoup, ressentent encore plus. Et c’est à travers le témoignage de ces femmes à la fois visibles et invisibles que Makenzy Orcel nous fait découvrir le séisme qui a ravagé Haïti en 2010, une tragédie dont le pays ne s’est, par malheur, toujours pas remis. Makenzy Orcel, jeune prodige né en 1983, prend pour point de vue le regard d’une de ces femmes. Elle s’épanche auprès d’un écrivain et lui assigne pour mission de dévoiler le drame de « ces putains », de révéler au grand jour l’horreur de leur existence. À la manière d’un chœur antique, le récit de cette femme devient un chant lyrique qui dit la souffrance et la stupeur. « Tous les mots de mon corps ne sauraient suffire pour dire la douleur de la terre ». On connaissait déjà à l’auteur un immense talent pour ses recueils de poèmes, comme À l’aube des traversées et autres poèmes et Les Latrines. Avec Les Immortelles, il explore d’autres registres et nous livre un roman douloureusement réaliste. Outre la forme du récit, à la fois rythmée, lancinante et abrupte, Makenzy Orcel s’attaque à un sujet proche du témoignage. Il semble enjoindre son lecteur à se souvenir : « oublier, c’est la pire des catastrophes ». Cette ode à Haïti est véhiculée par le portrait de ces femmes et de cette jeune héroïne, Shakira, perdue à jamais entre ciel et terre. Les Immortelles