Littérature française

Éric Chevillard

L’Auteur et moi

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Chronique de Guillaume Le Douarin

Librairie L'Écume des pages (Paris)

L’écrivain est-il un usurpateur d’identités ? Comment prête-t-il vie à ses personnages ? Peut-il être « dépassé », voire démasqué, par ses propres créations ? C’est à ces questions, et même un peu plus, qu’Éric Chevillard tente de répondre avec humour et décalage dans son dernier livre, L’Auteur et moi.

La création littéraire, l’imagination, la place de l’écrivain au regard de « son travail » sont le cœur même des réflexions d’Éric Chevillard. Ces thèmes bien sérieux ne doivent cependant pas effrayer le lecteur. Car le point de départ du livre L’Auteur et moi repose sur une affaire de goût. Le personnage du texte que l’auteur est en train d’écrire doit faire face à une déconvenue culinaire : « Je m’en pourléchais toute la matinée en abattant la besogne, vous pensez bien, et, dès midi, je me suis attablé avec un appétit décuplé, guettant la truite aux amandes dont je suis friand, quand enfin, tenez-vous bien, on est sorti de la cuisine pour déposer devant moi un gratin de chou-fleur dont les bouffées fades instantanément m’ont tourné le cœur ». Voilà le leitmotiv d’un roman en cours d’élaboration : le « héros » principal déteste le gratin de chou-fleur ! D’emblée, et c’est une affaire de sensibilité, on peut souligner qu’il n’y a pas de bon ou mauvais sujet en littérature. L’essentiel, pour nous lecteur, est dans le traitement des thématiques. Et c’est là qu’Éric Chevillard nous invite à une belle et astucieuse gymnastique. En miroir du roman que l’auteur écrit, il y a toute une série de notes en bas de page censées démêler la part d’imaginaire de l’apport strictement biographique du créateur. Ce glissement de l’un à l’autre, outre la concentration qu’il requiert, nous fait entrer avec humour et finesse au cœur même de la création (l’auteur peut-il garder la main sur celle-ci ?) Éric Chevillard s’offre même le luxe de superposer un deuxième roman au premier. La thématique de celui-ci n’étant pas moins intéressante, puisqu’il s’agit d’un homme suivant une fourmi… « Mais cette fourmi obéissait de toute évidence à un destin impérieux et cela suffit à me captiver, qui était si étranger à ma propre trajectoire hasardeuse, soumise aux caprices du vent et de l’heure. » Au-delà de la farce et du côté labyrinthique de ce que je ne pourrais qualifier de roman, j’ai aimé la tentative d’Éric Chevillard de me perdre et me dérouter. Cette tentative d’égarement, loin de m’éloigner, m’a au contraire fait approcher du sujet essentiel : l’écriture. J’aime surtout la pudeur d’Éric Chevillard, dissimulée sous l’humour, à parler de la création qui échappe à son initiateur et l’effroi que cela peut provoquer. Enfin, même si vous n’aimez pas le gratin de chou-fleur, laissez-vous séduire par l’espoir d’une truite aux amandes…