Essais

Karl Polanyi

La subsistance de l’homme

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photo libraire

Chronique de Raphaël Rouillé

Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès (Saint-Christol-lez-Alès)

Quarante-sept ans après sa disparition, la pensée de Karl Polanyi reste d’une étonnante actualité, si bien que les éditions Flammarion publient notamment un inédit intitulé La Subsistance de l’homme grâce aux notes et documents laissés par l’historien de l’économie hongrois, dans le prolongement direct de son livre phare : La Grande transformation (1944).

Encore trop méconnu en France, comme se charge de le rappeler Jérôme Maucourant dans son ouvrage publié dans la très bonne collection « Champs » de Flammarion, Karl Polanyi demeure pourtant une figure intellectuelle incontournable. Son approche comparée des systèmes économiques lui a permis d’indiquer la nécessité de « désencastrer » l’économie des relations sociales. Reprenant Aristote, retournant sur les terres de Babylone, de l’Égypte ancienne ou de la Grèce antique, il n’a cessé de dire que « l’homme n’est pas un être économique mais un être social » . La Subsistance de l’homme est un ouvrage inachevé, mais qui prolonge de manière distincte la réflexion de La Grande Transformation . Ses recherches sur les économies primitives et archaïques l’ont conduit à une virulente critique du « marché » et il a développé une critique radicale de l’utopie libérale du xixe siècle et de ses effets déstabilisateurs. Relire Polanyi aujourd’hui, c’est mesurer la portée féconde de sa pensée. Pour lui, la domination de la société par l’économie est un phénomène unique et récent dans l’histoire, la « conséquence de politiques actives de l’État fondées sur le credo libéral » . Se livrant à une véritable déconstruction des notions conventionnelles du commerce, de la monnaie et du marché, il identifie les illusions qu’a répandues l’esprit de marché et repositionne l’économie à sa juste place dans la société. L’émergence de la société de marché apparaît comme une catastrophe culturelle et Polanyi note un changement décisif lors de la transformation du travail et de la terre en marchandises. En contradiction avec la conception évolutionniste, Karl Polanyi démontre que cette pratique utilitariste plonge inévitablement le monde humain dans des motivations matérielles. « Plus loin nous remontons dans l’histoire humaine, moins nous retrouvons l’homme agissant pour son bénéfice personnel dans les affaires économiques, et prenant soin de son intérêt propre » écrit-il. Ce n’est que dans une forme relativement avancée de société agricole que l’économie domestique devient praticable, puis se généralise. Vingt-huit ans après la publication en France de La Grande Transformation , La Subsistance de l’homme , dont l’approche fait aussi bien appel à l’anthropologie qu’à l’histoire et l’économie, réaffirme que la société de marché a pris un caractère naturel qui nous empêche de dépasser les conceptions dominantes. À un moment où notre modèle contemporain vacille, l’ouvrage repositionne l’économie à sa juste place, à la périphérie de l’existence humaine et non plus au centre comme un système nerveux devenu incontrôlable.

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