Littérature étrangère

Rosella Postorino

La Goûteuse d’Hitler

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Chronique de Murielle Gobert

Librairie Passerelles (Vienne)

La tendresse et la sensualité d’une langue italienne merveilleusement traduite enveloppent ce roman pourtant terrifiant, traversé par la nourriture, le désir, le vide éreintant de l’absence et la question du choix, de l’appartenance au groupe, pour conjurer le sentiment de solitude propre à chaque être humain.

En découvrant cette histoire, incroyable, d’une jeune berlinoise réfugiée dans la campagne de Prusse durant la guerre et embauchée comme goûteuse d’Hitler, on est émerveillé par la puissance des personnages et l’imagination de l’auteure. Puis on découvre que cette histoire est vraie et que l’héroïne incarnée ici a réellement existé. Vraie, la réquisition de ces jeunes femmes tout près de la tanière du Loup, retranché dans sa folie paranoïaque. Vraie, également, cette absurdité d’une époque où tout se résumait à l’instinct de survie, quel que soit le camp que l’on ait choisi. Le roman se suffit à lui-même ; il n’a pas besoin de nous convaincre de la véracité des faits ; mais savoir que la goûteuse Rosa a existé nous donne un plus grand vertige encore à plonger dans cette humanité perdue, malmenée, sauvegardée au prix fort. Car tous les jours, nous montons avec elle dans le car qui l’emmène vers sa mission, dans cette école transformée en caserne où des jeunes femmes comme elles, « dociles comme des vaches », digèrent la nourriture servie à Hitler avant que lui-même n’y touche. Tous les soirs, nous écrivons avec elle son journal à l’absent, épousé pour le bonheur et dont le départ à la guerre semble être une mauvaise farce, une escroquerie de plus. Et nous mesurons le peu d’espace dans le cauchemar de cette vie traversée en somnambule, entre complicité et soumission, inclination pour la mort et pulsion de vie, compassion et haine. Une insoutenable tendresse. Ce sont les mots que l’auteure met dans la bouche de son héroïne et c’est ce qu’on retient finalement de ce roman magistral, malgré la peur, la violence des enragés fanatiques du Führer, et une autre cruauté, ordinaire celle-là et peut-être pire, des autres femmes, qui regardent avec hostilité cette « étrangère » venue de Berlin.