Jeunesse Dès 8 ans

Charlotte Moundlic

À l'ombre de Barbe Bleue

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photo libraire

Chronique de Amélie Muller

Maison d'édition Agence Mauvaise herbe (Paris)

Rarement adapté, contrairement aux autres contes de Perrault et des frères Grimm, Barbe Bleue effraie par sa violence. L’histoire, l’une des plus sanglantes du genre, sort aujourd’hui de l'ombre dans une superbe version aux allures victoriennes.

La littérature jeunesse s'est depuis longtemps emparée des contes issus de la tradition orale, qui offrent de nombreuses possibilités d’adaptations. Certains inspirent moins que d'autres. C’est le cas de Barbe Bleue, plus rare que Le Petit Chaperon rouge ou Les Trois Petits Cochons. Le tirer in extremis de l’oubli est donc une excellente idée. Le duo Moundlic/Roca avait déjà publié en 2019 une Blanche Neige plutôt fidèle à la version originale mais débarrassée de la niaiserie de certaines versions, plus centrée sur les questionnements intérieurs des figures féminines. C’est aussi l'angle choisi ici. Un léger changement de point de vue qui éclaire l’histoire d’une autre manière. Le titre invite à regarder « à l’ombre », dans les angles morts et plus seulement le personnage-titre. Le texte nous en apprend un peu plus sur la jeune épouse. Placés dans une contrée peu accueillante, terrain fertile pour les rumeurs et les jugements, intrigue et personnages gagnent en épaisseur. Là où dans le conte original la jeune fille est effacée, impuissante face à sa curiosité et à sa mort certaine, comme toutes les autres avant elle, on assiste à un renversement des forces. « Dans ce combat inégal, il fallait ruser pour anéantir le monstre : c’était elle ou lui. » Le personnage d'Anne a aussi un rôle important, alors qu’elle n'était que la voix de l'attente chez Perrault. Et que dire du dénouement, qui voit le pouvoir changer de camp. Condition féminine, destin contrarié, mariage arrangé, drame imminent, émancipation féminine… des motifs qui rappellent la littérature anglaise du XIXe siècle et que François Roca interprète merveilleusement dans les peintures qui accompagnent le texte, ancrant le récit dans une atmosphère très victorienne. On pense à Jane Austen et plus encore aux sœurs Brontë.