Essais

Yves Bonnefoy

Le Siècle de Baudelaire

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photo libraire

Chronique de Rodolphe Gillard

Librairie des Halles (Niort)

Dans un recueil d’articles, Yves Bonnefoy rend hommage au fondateur de la poésie moderne en explorant son héritage au travers d’« apparentements et de filiations » de quelques-uns de ses illustres successeurs.

Baudelaire, mais également Mallarmé et Valéry, sont à l’honneur dans ce livre d’Yves Bonnefoy, série de courts textes placés sous la figure tutélaire de Charles Baudelaire. « Celui par qui tout changea dans la poésie », c’est ainsi que Bonnefoy définit l’immense auteur des Fleurs du mal dans un article lumineux consacré à Paris et à son statut de muse des poètes. Quelle fut cette révolution baudelairienne ? Les essais de Bonnefoy, exigeants, remarquablement enrichissants, réaffirment l’importance prépondérante du poète dans le renouvèlement radical de l’acte poétique. Si le poète éprouve un « souci de l’autre », une attirance naturelle à partager les choses de la vie, il regarde aussi le langage comme une entrave, un obstacle à l’expression des sentiments, des perceptions, des sentiments. Mais c’est précisément en monopolisant tous les ressorts de sa volonté – parfois au prix d’efforts considérables, de souffrances, aussi, qui auront pu se révéler démentielles –, que Baudelaire est parvenu à produire l’un des plus fabuleux chefs-d’œuvre de la littérature mondiale. Bonnefoy, ici comme du reste dans sa propre poésie, est attentif aux épiphanies, ce moment quasi métaphysique où l’homme a le sentiment fugace de sa transcendance. Cette « présence », pour reprendre un terme familier de Bonnefoy, fait cependant l’objet chez Baudelaire d’un scepticisme qui lui rend la « vraie vie » douloureuse. Il se garde en effet des fausses apparences, des faux espoirs, mais aussi, et surtout, de lui-même. Des doutes analogues innervent les œuvres de Mallarmé et Valéry, deux poètes que Bonnefoy tient également en haute estime. Ces deux héritiers de Baudelaire, apparentés par leurs « échecs » réciproques, entretiennent le même rapport difficile avec la nature, l’« exister quotidien », écartelés qu’ils sont entre leurs sensations et ce qu’ils appréhendent de la réalité, des autres, de l’acte créateur. Pour d’autres, comme Edgar Allan Poe auquel Bonnefoy consacre une partie de son livre, se dégager des contingences de l’existence, c’est mettre au jour l’inconscient et faire face au néant… parfois au péril de leur vie. Le monde, toujours selon Bonnefoy, n’est pas « la chose naturelle qui nous entoure, mais le sens que nous décidons d’y porter ».