Essais

Patrick Boucheron

Inventer le monde

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photo libraire

Chronique de Gilda Alvarez

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En 2009, un collectif d’historiens placé sous l’égide de Patrick Boucheron publie une Histoire du monde au xve siècle. Portée par l’émergence des grands navigateurs et par les perspectives nouvelles que leurs découvertes ouvrent à leurs contemporains, la période est pourtant mal connue. Que savons-nous de ce monde du xve siècle ?

Ce numéro de La Documentation photographique propose d’établir une synthèse du xve siècle dans sa dimension planétaire. L’entreprise rappelle les travaux menés sur le xvie siècle par Serge Gruzinski, qui oriente simultanément ses recherches vers les quatre parties du monde afin d’en dresser une sorte de synthèse panoramique. Chaque livraison de La Documentation photographique s’attache à nouer des liens entre recherche et enseignement, pour fournir au lecteur des outils capables d’enrichir sa culture personnelle de façon à la fois claire et agréable. Seize pages de synthèse suivies de quarante-six pages de documents commentés structurent chaque numéro. Découpée en six grandes séquences – dépaysements, temps forts et hauts lieux du monde, villes du monde et mondes des villes, l’invention des traditions, brèves rencontres, le goût du monde – cette Histoire globale du xve siècle se lit volontiers en piochant au hasard des chapitres. L’approche s’avère encore plus excitante quand elle est curieuse et intuitive. On découvre comment des relations se tissent entre continents et pays, entre cultures et échanges. Le regard décentré auquel invite l’auteur met en perspective des événements politiques, historiques, économiques, culturels, etc., dont nous ne soupçonnions pas toujours l’existence et encore moins l’importance. On débute par le grand large, cet au-delà des océans dont les vikings étaient vraisemblablement familiers et où ils croisent certaines des grandes civilisations pré-américaines, parmi lesquelles les Incas. Des dates clés jalonnent le voyage, comme la mort de Tamerlan, redoutable chef de guerre et bâtisseur d’un immense empire en Asie centrale, ou la disparition de villes telles que Grenade ou Constantinople, qui entraîne, par répercussions, d’intenses bouleversements mondiaux. L’effervescence culturelle provoquée par les échanges donne naissance à la plupart des traditions qui fondent l’identité de ces pays – le théâtre nô au Japon, par exemple. Dans la partie intitulée « Brèves rencontres », l’auteur décrit les réseaux commerciaux quasiment globaux qui existent à l’époque et qui forment une manière de mondialisation avant l’heure, tandis que l’espagnol occupe alors la place de lingua franca. Au terme de cette stimulante lecture nourrie de questionnements culturels, économiques et diplomatiques, on se dit que l’Occident doit probablement à l’imprimerie une grande part de sa suprématie, par laquelle se sont diffusées et ses idées, et ses langues.