Littérature étrangère

Murakami Ryu

Chansons populaires de l’ère Showa

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photo libraire

Chronique de Géraldine Violet

Pigiste ()

En avant pour une plongée dans un Japon marécageux, underground et hyper violent, où violence et solitude constituent l’unique et dernier visage d’une société déliquescente.

Une bande de paumés mi-siphonnés mi-libidineux accros aux armes blanches et aux films pornos, se réunit régulièrement pour des soirées de soûleries qui finissent immanquablement en séances enflammées de karaoké. Les moments partagés par ces espèces de zombies asociaux, au cours desquels ils se déguisent et se filment, constituent le summum de la fête. Un jour, l’un d’entre eux, mal luné et en manque de sexe, dézingue en pleine rue une bourgeoise à coup de surin sous prétexte que sa figure ne lui revient pas. Dès lors, la guerre est déclarée entre les amies de la victime, toutes des bourgeoises divorcées et frustrées fans de Vuitton et Céline, et les adeptes décérébrés de karaoké. Le clan des Midori (elles portent bizarrement toutes le même prénom) décide alors d’apprendre consciencieusement l’art de la guerre en s’entraînant au maniement des armes entre deux séances de shopping et trois retouches de maquillage. Qui triomphera ? Qui réchappera de ces sanglantes rixes ? Sur fond de musique populaire de l’ère Showa (1929-1989), le dernier Murakami Ryu est un récit déjanté qui dégouline de kitsch. Difficile de résister aux scènes de carnages cocasses où des couteaux de cuisine sont fixés à des cannes à linge et autres déguisements grotesques où se superposent satin, nœuds papillon et porte-jarretelles. C’est ultra-violent, ça ne prévient pas quand ça cogne, c’est survolté, déchaîné. Ces jeunes-là font froid dans le dos avec leur absence totale de repères, de compassion envers autrui, leur amoralité. Mais ils n’ont rien à envier non plus aux femmes mûres qu’ils affrontent, névrosées à l’extrême, épuisées par la quête perpétuelle d’un compagnon idéal obligatoirement friqué. Il y a là une maîtrise parfaite de la surenchère dans la violence. Les personnages semblent évoluer sur un terrain de jeu, réduits à l’état de marionnettes burlesques qui s’agitent en tous sens et tirent sur tout ce qui bouge, comme dans un jeu vidéo. Murakami n’épargne personne et signe dans ce dernier roman un portrait bien grinçant, bien strident et insolent d’un Japon sombre et souterrain.