Jeunesse

4 auteurs, 4 livres, 4 héros, 1 phénomène !

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Par Aude Marzin

Librairie Plaisir de lire (Plaisir)

Ils sont quatre, quatre adolescents tout droit sortis de l’imagination de quatre auteurs. Koridwen, Stéphane, Yannis et Jules ne se connaissent pas mais ont un même but : se rendre à un rendez-vous fixé par Kronos, le maître d’un jeu en ligne dont ils étaient des joueurs Experts, avant qu’un virus foudroyant ne décime la population, n’épargnant que les adolescents et semant le chaos…

 

Page — Comment est née l’idée de ce projet hors du commun, quel était le canevas de départ et comment a-t-il évolué ?
The U4 Team — On peut parler d’une rencontre dans un salon du livre, de discussions dans un train, puis dans le troquet d’un port, ou encore d’une semaine passée dans une villa d’une autre ville portuaire, ou de déambulations parisiennes... L’idée du projet s’est tissée peu à peu, à l’image de nos vies aux déplacements fréquents : que nos personnages viennent de différents coins de France n’est certainement pas un hasard ! Au départ, ce fut d’abord le désir de travailler ensemble, puis celui de faire table rase des thèmes abordés jusque-là par chacun : quoi de mieux que de détruire le monde pour partir de zéro ? L’univers post-apocalyptique s’est alors imposé. Puis nos personnages sont nés très rapidement dans nos têtes, miraculeusement différentes et complémentaires, sans réelle concertation préalable. Ensuite, le seul canevas que nous avions au départ était l’idée d’un rendez-vous lié au jeu vidéo. Nos personnages, qui s’étaient auparavant rencontrés deux à deux, devaient se retrouver au même endroit, au même moment, puis vivre des événements communs. À partir de cela, les choses se sont affinées en cours d’écriture, et si l’idée du rendez-vous est restée, la façon dont il devait se dérouler a changé bien des fois ! Les contraintes d’écriture à plusieurs mains étaient si grandes qu’il était indispensable de garder une souplesse dans le scénario et de ne jamais rien figer dans le marbre.

P. — Quelles sont les contraintes d’écriture à plusieurs, alors que la création littéraire est d’ordinaire un exercice solitaire. Et comment revient-on ensuite à un travail en solo ?
Carole Trébor — Les contraintes se situent à différents niveaux. D’abord, il faut que nous soyons cohérents sur notre univers commun, à savoir notre cadre : chronologie, calendriers météorologiques et lunaires utilisés, fonctionnement social, localisation des R-Point, état des connaissances sur le virus, etc. Ensuite, on passe à l’étape supérieure, celle de l’écriture commune des scènes, de la confrontation de nos personnages. Et là, nos subjectivités se rencontrent. Ce qui est primordial pour l’un d’entre nous, ne l’est pas pour l’autre. Comment s’approprier le personnage d’un de ses confrères en étant fidèle à ce que son auteur a déjà défini ? Comment s’adapter à une action que les autres proposent sans trop déstructurer la trame narrative ?
Yves Grevet — Dans la pratique, il faut échanger le plus possible, se voir en vrai à des moments clefs de l’écriture, s’envoyer des centaines de mails (plus de 2000), se téléphoner, discuter sur Skype. Le rythme d’écriture d’un groupe est très chaotique, on se sent parfois en retard sur les autres et on écrit dans l’urgence. À d’autres moments, tout s’arrête pour régler des détails, pour négocier sur une parole ou une attitude. Il y a même des retours en arrière.
Vincent Villeminot - Dans ce processus collectif, les personnages gagnent en vérité, de l’inattendu s’invite au sein de l’intrigue. Mais on perd en spontanéité, en liberté. D’où notre désir presque compulsif de revenir chacun à du solo après U4.

Florence Hinckel — Soudain, nos exigences et notre musique intérieure se trouvaient contrariées par, non pas un, mais deux, puis trois empêcheurs de... tracer tout droit. À certains moments, désorientés, nous avons tourné en rond longtemps avant de trouver des chemins de traverse. Passionnant ! Mais on a tous aimé retrouver la liberté de choisir sa route.

P. — Vincent, pourquoi avoir fait le choix d’un prénom masculin pour votre héroïne ?
Vincent Villeminot — Cette idée m’est venue dès que nous avons décidé que je ferais parler une héroïne. C’est une sorte de clin d’œil, comme pour dire : « Je ne suis pas celle que vous croyez ». Parce que l’un des aspects les plus intéressants de la série, c’est que des lecteurs vont lire Stéphane après un, deux ou trois autres romans. Ils vont avoir sur elle des idées préconçues. L’un des rôles de mon récit consiste donc à rétablir les vérités de Stéphane, à nuancer les impressions qu’ont eues Jules, Kori ou Yannis à son propos… Elle est plus complexe, fragile, déchirée qu’elle ne le paraît.

P. — En quoi le fait d’avoir un parent encore en vie rend-il Stéphane différente des autres ?
V. V. — Contrairement à ses camarades, Stéphane n’a pas tout perdu. Mais du coup, son espoir réside en dehors d’elle-même : elle attend le salut d’ailleurs, de son père, des adultes… Elle est de ce fait relativement impuissante, « empêchée ». C’est quand elle décide d’aller retrouver son père plutôt que de l’attendre, que quelque chose se libère en elle. Je dirais qu’elle va, paradoxalement, devoir « tuer le père », parce que le virus ne s’en est pas chargé pour elle.

P. — Florence, où Yannis puise-t-il son grand sens moral ?
Florence Hinckel — Comme tous les repères ont volé en éclat, il est très difficile de discerner la frontière entre le bien et le mal, aussi Yannis est forcé de se forger une morale nouvelle au fil de ses expériences. Cela m’a beaucoup intéressée de suivre un personnage empli de doutes, qui tâtonne dans sa quête de vérité, de justesse et de liberté. Yannis n’est pas un héros au sens strict du terme, à cause de ses nombreuses erreurs et hésitations, mais il l’est par son courage et son indépendance.
Il puise la force pour y parvenir dans les valeurs qui lui ont été transmises par des parents qui continuent de l’accompagner et dont il a tant de mal à faire le deuil. Son fidèle compagnon Happy puis ses rencontres amicales ou amoureuses lui apportent aide et réconfort, lui permettant de faire le tri entre ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Pour finir, les aventures de Yannis m’ont permis d’évoquer la très belle et intéressante question du choix.

P. — Carole, parmi les quatre personnages, Jules est le moins « guerrier ». Quelle importance a pour lui la communauté qu’il intègre ?
Carole Trébor — Au moment de la catastrophe, Jules est un geek un peu boulimique, un peu paumé entre des parents absents et un frère qui se drogue. C’est un tendre. Avec son physique de déménageur, Jules est le meilleur plaqueur de son équipe de rugby, mais il ne provoque jamais la bagarre et garde son calme. Après la catastrophe, seul, tétanisé, terrorisé, il n’accepte pas les images d’horreur qu’il observe depuis son quatrième étage. Lorsqu’il sort chercher de la nourriture pour lui et son chaton, il agit comme s’il était Spider Snake, son avatar sur WOT, pour surmonter ce qu’il voit et se sentir moins fragile. Sa rencontre avec la communauté l’extirpe d’abord de sa solitude, puis lui permet d’avoir moins peur. La vie en collectivité l’ancre ensuite dans une réalité quotidienne faite d’occupations et de missions concrètes qui lui donnent des objectifs précis et un cadre structurant. Il y découvre aussi l’empathie, la solidarité et le courage. Porté par son désir de s’adapter et de trouver sa place au sein du groupe, Jules trouve un sens à sa vie, indépendamment de son espoir abstrait de retourner dans le passé grâce à Khronos, le maître de Jeu.

P. — Dans le chaos général où seule sa propre survie semble compter, Jules recueille une petite fille qui a miraculeusement survécu au virus. Que représente Alicia pour lui ?
C. T. — Au moment où il rencontre Alicia, Jules ne sait même plus s’il a envie de vivre, il se contente de survivre dans le but de tenir jusqu’au rendez-vous du 24 décembre à la Tour de l’Horloge. En sauvant la petite fille, il se sauve lui-même, parce que protéger sa « Minuscule », comme il la surnomme, devient son principal objectif. Elle incarne la lumière au milieu des ténèbres, la vie au milieu du chaos. Il s’accroche à sa mission de protecteur, puis il s’attache à la petite miraculée. Il se sent rapidement responsable d’elle et ce rôle le fait grandir. Il accomplit des choix en tenant compte des besoins des autres, notamment ceux d’Alicia. Et, respectant ceux qui l’entourent, il finit par se respecter lui-même. Alicia est un miracle dans ce monde ravagé. Et elle est LE miracle dans la vie de Jules.

P. — Yves, pourquoi avez-vous donné à Koridwen une dimension magique ?
Yves Grevet — Quand le monde s’effondre autour d’elle, Koridwen puise la force de survivre dans ce qui l’a construite pendant son enfance : sa terre, la fréquentation de la nature et des animaux, mais surtout les récits des légendes bretonnes racontés par sa grand-mère guérisseuse. Elle va progressivement se persuader qu’elle est accompagnée par des forces supérieures qui la protègent et la guident. Cette croyance, qui la rassure, donne un sens à l’absurdité de la situation qu’elle traverse. Mais on ne peut réduire Koridwen à cette seule dimension, c’est aussi une fille rationnelle, pragmatique, qui doute souvent des signes qu’elle est la seule à voir et à interpréter. Et tout au long de ses aventures, elle agit et se bat pour elle et pour les autres.