Bande dessinée

Jane Deuxard , Deloupy

Love story à l’iranienne

illustration
photo libraire

Chronique de Linda Lompech

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Ils sont deux journalistes, ils travaillent dans la clandestinité en Iran. Sous le régime d’Ahmadinejad, puis celui de Rohani, ils dressent le portrait de la jeunesse iranienne sous forme de bande dessinée. Comment ces jeunes vivent-ils, que pensent-ils, comment aiment-ils ? Rencontre avec Saviosh, Kimia, Jamileh et les autres.

« Le bonheur est interdit en Iran ? » « Oui, spécialement pour les jeunes... » Gila est catégorique. À 26 ans, cette Iranienne qui vit à Téhéran a déjà beaucoup souffert. De l’absence de liberté, de la répression du régime, de la peur au quotidien. Gila est amoureuse de Mila depuis huit ans. Ils ne sont pas mariés et la date de la célébration est encore floue. Ils n’ont jamais fait l’amour (les rapports sexuels sont interdits avant le mariage en Iran), mais ont eu des rapports non complets. Car à tout moment, Mila peut subir, de la part des forces de l’ordre ou sur demande de sa belle-famille, un test de virginité. Son sort n’est pas isolé en Iran. C’est celui de toute jeune femme qui n’est pas mariée. Et chacune le vit à sa manière. Kimia et Zeinab, la vingtaine, vivent à Ispahan. Leur féminité est pour elles une force, un privilège. « La plupart des gens croient que les hommes maltraitent les femmes en Iran. Au contraire, ils les aiment bien plus que partout ailleurs ! C’est justement parce qu’ils nous aiment à ce point que les hommes nous protègent autant. » Zeinab croit au changement, même très lent, de la société et semble voir le bon côté des choses dans son pays. Très étonnant pourtant d’entendre : « je suis même certaine que c’est bien plus facile d’être une femme ici qu’en Europe. » Ce sont ces paradoxes que les auteurs de la bande dessinée Love Story à l’iranienne ont tenté de mettre en lumière. Ce couple dans le travail et dans la vie s’est rendu en Iran de manière clandestine, en prenant souvent des risques, en travaillant dans le stress permanent du contrôle, de l’expulsion, afin de montrer la réalité que vivent les jeunes Iraniens. Très peu d’informations filtraient sous le régime de Mahmoud Ahmadinejad. Et même si le nouveau président de la République, Hassan Rohani, peut parfois passer pour un réformateur, rien ne change pour ces jeunes hommes et femmes qui subissent la violence des traditions, le poids du régime islamique, la pression du contrôle permanent. L’espoir de changement, ils l’ont perdu en 2009 quand ils ont cru, avec le mouvement de protestation né de la réélection contestée d’Ahmadinejad, qu’ils avaient la force de faire basculer les choses. Ils ont laissé sur les pavés leurs espoirs et leurs morts. C’est cette terreur qui muselle aujourd’hui Vahid, étudiant de 26 ans : « Je suis à leur merci... Ils ne vont jamais m’oublier. » C’est cette réalité abrupte mais nécessaire que les deux auteurs, réunis sous le pseudonyme de Jane Deuxard, nous transmettent par ces témoignages. Ceux de jeunes Iraniens personnifiés par le trait efficace du dessinateur Deloupy, qui vivent, pensent et aiment en secret, en silence, cachés, terrifiés.