Beaux livres

Pannonica de Koenigswarter

Les Musiciens de jazz et leurs trois voeux

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Chronique de Marion Libouban

Librairie du Contretemps (Bègles)

En ces temps où les idées cadeaux sont dans beaucoup d'esprits, la réédition de L'Œil de Nica et des Musiciens de jazz et leurs trois vœux est une délicieuse nouvelle : les éditions Buchet Chastel ravissent mon cœur de lectrice et de libraire ! Nul doute que ces livres trouveront leur place au pied de nombreux sapins cet hiver.

« Partie un peu naze, j'descends dans la boîte de jazz, histoire d'oublier un peu le cours de ma vie. » Je me sens l'âme de Pannonica, enivrée de musique et de confidences, d'amitiés et de rythmes. C'est l'effet que vous feront ces livres à l'histoire pas banale. Ils sont le fruit des interminables soirées partagées par l’auteure avec tous les plus grands musiciens de l'âge d'or du jazz. Naviguant dans un monde essentiellement masculin, Nica sera la femme qui saura constituer au fil des années la mémoire du jazz. Les Musiciens de jazz et L'Œil de Nica en sont témoins. Mais qui est Nica ? « Lorsque j'ai vu Nica pour la dernière fois à New York en 1986, nous sommes allées faire, selon son habitude, la tournée tardive des clubs de jazz dans sa vieille Bentley décapotable. Elle portait des vêtements aux imprimés de couleurs vives, son visage blanc étroit encadré de longs cheveux noirs, un éternel fume-cigarette à sa bouche écarlate. » L'introduction du livre dresse d'emblée le portrait de « the Baroness », Pannonica de Koenigswarter, née Rothschild, épouse du Baron de Koenigswarter. Au sortir de la guerre, « inapte » à la vie de femme de diplomate, elle veut vivre libre à New York. Elle se sépare de son mari qui la considère trop négligée, tourne le dos à ses enfants, se fait couper les vivres par son banquier de père mais a un pactole suffisant pour faire ce qui lui plaît : fréquenter les boîtes de jazz, entretenir son piano, ses amis et ses chats. Elle ne passe pas inaperçue et va vite devenir une figure emblématique des nuits musicales. Un jour, elle pose la question à celui devenu son grand ami, Thelonious Monk : « Si on t'accordait trois vœux qui devraient se réaliser sur-le-champ, que souhaiterais-tu ? ». Il lui répond : « Que ma musique ait du succès, que ma famille soit heureuse, qu'on me donne une amie géniale comme toi ! ». Cette question qui semble anodine, elle la posera ensuite à plus de 300 musiciens et musiciennes de jazz. Certains vœux semblent simples à accomplir au contraire de ceux à portée politique le plus célèbre, celui de Miles Davis : « être blanc » ‒ et des plus farfelus. Tous disent quelque chose de l'époque et du contexte. En plus de collectionner les mots des artistes, Nica prendra un nombre démentiel de photographies. Ce sont celles qu'offrent à voir L'Œil de Nica. Vous l'aurez compris, ouvrir ce recueil, c'est ouvrir un trésor, c'est vibrer, c'est s'émouvoir, c'est interroger une époque et rencontrer une femme étonnante. À lire, à offrir et que ça swingue !