Les Ensangs

Le jour où tout a basculé pour Charlie, il flottait dans l’air l’odeur anisée du basilic, celle truffée de l’huile d’olive et aussi l’odeur du sang. En cette fin d’été, autour de la table familiale, alors que le chat déchiquetait un oiseau, elle venait d’annoncer à ses parents qu’elle était amoureuse et que son cœur battait la chamade pour Iris. Depuis toujours, les odeurs bruissent dans le nez de Charlie. Musc, santal, chèvrefeuille, bergamote, clématite, tabac ou jasmin sont autant de senteurs qui n'ont aucun secret pour elle et qui parfois la débordent lorsqu'elle ressent une émotion trop forte. C'est donc tout naturellement que son baccalauréat en poche, Charlie a fait des pieds et des mains pour pouvoir intégrer le prestigieux Institut international de parfumerie, situé rue Süskind à Paris. Une école privée aux frais de scolarité exorbitants pour laquelle ses parents ont accepté de se saigner. Seulement à la veille de sa rentrée en deuxième année, suite à son annonce, ses parents, se sentant trahis et ne cautionnant pas ses choix de vie, décident de lui couper les vivres. Son charismatique et ombrageux professeur d'anthropologie et d'histoire du parfum, Lazlo Delafosse, lui propose un pacte : financer ses études contre son aide pour l’élaboration de parfums singuliers, les « ensangs ». Peut-être que Charlie n'aurait pas dû le suivre, peut-être aurait-elle dû reculer, ne pas écouter ce professeur qui leur expliquait en première année qu'au XVIIe siècle, on réalisait un parfum en conservant le sang d'une personne jeune et en bonne santé plusieurs mois à l'abri du soleil avant de le filtrer pour y ajouter de l'eau, du sel et des fleurs. Un parfum censé soigner la lèpre, la peste ou la mélancolie. Peut-être Charlie aurait-elle dû s'échapper ; rien ne serait arrivé et surtout pas le pire.