Littérature étrangère

Ahmet Altan

Les Dés

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Chronique de Catherine Vialle

Librairie Le Partage des mots (Villenave-d'Ornon)

Après le sublime Madame Hayat (Actes Sud et Babel), amoureuse inoubliable, le journaliste et romancier turc Ahmet Altan nous revient avec Les Dés, portrait psychanalytique d’un jeune assassin glaçant et impénétrable.

Au début des années 1900, en Turquie, Ziya vit son enfance parmi des truands pour lesquels son grand frère Arif Bey est une figure crainte et respectée. Il développe une admiration sans bornes pour son aîné qui lui inculque que rien n’est plus important que l’honneur. Alors, quand Arif Bey est assassiné, Ziya tue publiquement le coupable en plein tribunal, considérant son acte comme un « devoir dont doit s’acquitter tout homme d’honneur ». À 16 ans, il est condamné à perpétuité et incarcéré dans une geôle sordide où il s’initie au jeu de dés. Exfiltré au bout d’un an de détention par les hommes de son clan, il est envoyé à la campagne, en Égypte, et rencontre Nora, une jeune femme qu’il retrouve tous les jours pour de grandes promenades silencieuses. Nora l’attire irrésistiblement mais il est incapable de lui déclarer ce qu’il éprouve pour elle, ne le sachant pas lui-même. De retour en Turquie, il continuera son chemin en marge de la société, en « héros craint et redouté, seul, enfermé dans la prison de sa légende ». Persuadé de son invulnérabilité depuis l’enfance, il se croit capable de tout car il ne craint pas la mort. Il ressent l’extase de tuer, ivresse qu’il retrouve dans le jeu lorsque les dés roulent sur le tapis et que le hasard décide de leur sort. Il oublie tout quand il joue, indifférent au monde, sans pensées ni sentiments. Il s’oublie aussi dans les bras des femmes, son unique faiblesse, car face à elles il se sent gêné, ne pouvant ni les menacer ni les frapper. Nora demeurera son unique passion et son unique défaite. Ahmet Altan nous plonge dans la psyché d’un personnage quasiment mythologique, un narcisse persuadé de son immortalité, invincible car détaché de la vie. L’écriture est belle et nous accompagne magistralement dans l’exploration de l’âme d’un homme né pour s’autodétruire.